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l’Ouest d’Elsasshausen. Ce noyau, qui apportait sa force intacte aux bataillons las et émiettés, fut réparti entre les diverses fractions du front de bataille. En même temps, les sept batteries de Kirchbach, arrivées de Wœrth, s’intercalent dans l’artillerie du XIe corps à l’Est et à l’Ouest d’Elsasshausen et 84 bouches à feu grondent sur Frœschwiller.


VIII

Il est quatre heures. Ces collines d’ordinaire si riantes présentent le spectacle d’une horreur indicible. Elsasshausen est en feu : à Frœschwiller, les flammes montent déjà jusqu’au sommet de la tour de l’église, qui n’est plus qu’une fournaise ardente d’où il a fallu évacuer les blessés en hâte : les créneaux, palissademens, abris masqués par des branchages, s’écroulent dans l’embrasement général avec les maisons sur lesquelles on les avait pratiqués ; de toutes parts flambent avec fracas les métairies disséminées au milieu des vignes et des houblonnières ; à côté de fusils épars, d’affûts brisés, d’obus vides, des morts et des blessés, dont les plaintes ou les gémissemens s’unissent à la crépitation et au sifflement des armes et au grondement des 84 bouches à feu.

Dans ce cadre lugubre, deux tourbes confuses, désordonnées, haletantes, au milieu desquelles des obus font des sillons sanglans. L’une se rapproche de Frœschwiller, l’autre s’en éloigne. L’une, à ce dernier degré d’excitation furibonde qui naît de la fatigue surmenée, non seulement brave le péril, mais n’en a plus même conscience, court vers le village d’où s’élèvent parmi d’épais tourbillons de fumée des jets rougeâtres de flammes. L’autre, à cette plénitude d’effarement et de panique que crée le désespoir des longs efforts repoussés et des sacrifices héroïques inutiles, se précipite vers Reichshoffen où elle compte ne plus revoir, toujours renaissans, les bataillons innombrables devant lesquels elle fuit. Toutes deux brûlent d’arriver, l’une pour pousser les hurrahs du triomphe, l’autre pour ne pas les entendre et n’en être pas les trophées. Le tourbillonnement désordonné dans lequel les fractions des corps allemands, confondus et enchevêtrés, marchent sur Frœschwiller est difficile à rendre ; mais comment décrire l’affolement de la cohue, à toute minute accrue de nouveaux débris, hommes, voitures.