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refoulent vers Frœschwiller et y entrent les premiers. Mac Mahon n’a plus à se demander s’il défendra son réduit maison par maison : il n’y a plus de maison tenable ; il n’a plus à délibérer s’il prescrira la retraite : elle s’opère avec rage sans ses ordres. Sa gauche s’est effondrée comme sa droite et son centre. Il n’a désormais (4 heures) qu’un souci : limiter le désastre. Il va vers Ducrot qui avait encore cinq bataillons intacts et deux batteries ; il le charge de couvrir la route de Reichshoffen.


IX

Entre la cohue allemande qui va en avant et la cohue française qui recule et que Ducrot protège de son mieux, il est un groupe devant lequel il faut s’arrêter avec une indicible admiration, avant de quitter ce lieu maudit, le groupe de la résistance à outrance, des indomptables qui continuent le combat, alors que Mac Mahon lui-même y a renoncé.

C’est la réserve d’artillerie : pour n’être pas enlevée, elle a été obligée de reculer, mais elle s’est reformée un peu plus loin ; elle met en position quelques pièces de différentes batteries et tant qu’elle trouve des boîtes à mitraille dans les coffres, elle les épuise. C’est le 2e régiment de lanciers : il aperçoit deux batteries prussiennes en avant de la ligne de ses tirailleurs ; il les charge. C’est la compagnie du génie, Gallois : on l’a postée en avant du village ; elle n’en bouge pas et elle lutte. C’est surtout Raoult.

Le matin, il avait tout tenté pour qu’on ne s’engageât pas sur ce champ de bataille, maintenant on ne peut l’en arracher. Entouré de ce qui reste d’hommes de son incomparable division, il dispute chaque palme de terrain, et il se montre en quelque sorte victorieux de la défaite. Les Allemands sentent cruellement ses derniers coups. Bose est de nouveau blessé, et cette fois grièvement ; un de ses lieutenans d’état-major tombe à ses côtés ; le chef d’état-major de Stein a un cheval tué sous lui ; beaucoup d’autres succombent et ne voient pas la victoire.

Est-il nécessaire, hélas ! d’ajouter que ces exploits surhumains sont vains ? La réserve d’artillerie est réduite à s’engouffrer à son tour dans l’entonnoir lugubre de la route ; ses lanciers sont mitraillés et leur colonel, Poissonnier, est tué. La compagnie Gallois est contrainte de suivre le courant. Raoult seul