Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/807

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peser sur elle la confuse mélancolie des enfances orphelines. Ainsi les circonstances avaient reployé prématurément ces deux êtres sur eux-mêmes ; ils devaient s’affranchir de la mode sentimentale ambiante et vivre une vie intérieure plus intense. La mode sentimentale ambiante chuchote « flirt » à l’oreille des jeunes gens modernes, garçons et filles. L’écho plus grave d’une vie intérieure a murmuré « amour » à l’oreille de Georges et de Sylvie… Ils ne s’en dirent rien l’un à l’autre, l’an dernier ; chacun n’en dit peut-être rien à soi-même. Mais l’impérieuse force les rapprocha, les enchaîna subtilement : un an d’absence, sans même s’écrire, avec trois entrevues rapides à Paris, où ils n’eurent pas un moment de libre causerie, loin de relâcher la chaîne, la consolida… Georges, très maître de lui, ne laisse rien paraître ; mais il m’a confié les épreuves de son premier livre de vers : j’y ai vu, à toutes les pages, sourire les lèvres de Sylvie. Elle, au contraire, son émoi est touchant ; son cœur déborde ; et je n’aurais guère besoin de l’aider pour qu’elle versât dans mon oreille ses innocentes confidences.


Educateur, qui que tu sois, quels que soient ton tempérament et ta doctrine, voici ton maître : il surgit sur la route de l’éducation plus tôt ou plus tard, suivant les sujets, mais on ne l’évite pas, et ce serait bien vainement t’efforcer que de former le corps, l’esprit, la sensibilité de tes élèves sans tenir compte de cet impérieux compagnon qui les attend à un coude du chemin et qui te disputera leur gouverne : l’amour… Les modes galantes ont beau changer ; le roman et le théâtre, au XXe siècle, ont beau nous présenter des Lovelace cinquantenaires et des amoureux à cheveux gris, alors qu’un siècle plus tôt Faublas jouait à seize ans son rôle de grand séducteur, — la nature ne change pas selon le caprice des modes, et c’est un grand aveuglement que de ne tenir aucun compte, entre « l’âge ingrat » et la fin de l’éducation, de ce survenant formidable : l’amour. Sa moins dangereuse intervention est sans doute qu’il apparaisse sous la forme d’un sentiment robuste et profond, comme entre Sylvie et Georges. Chargé d’âmes puériles, je redoute bien davantage la curiosité des sens et de l’esprit, où le cœur n’a point de part ; je redoute la singerie des grandes personnes, le romanesque en l’air ; je redoute bien d’autres choses. Mais ce dont je suis certain, c’est que l’éducateur