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qui nous invite à rentrer sous un toit, à renouer le fil de la vie intérieure, — tandis qu’en la saison des crépuscules tardifs et prolongés, en juin, en juillet, en août, on ne pouvait se résoudre à quitter le plein air tant qu’une pâleur de jour argentait ou rosissait encore la coupole du ciel… Heures apaisées qui finissez les après-midi de septembre, quand le rideau, tiré devant la fenêtre ouverte, palpite faiblement ; quand les bruits toujours harmonieux de la campagne s’espacent et s’éteignent ; quand on regarde le rond lumineux de l’abat-jour dessiné sur la feuille blanche ; quand on ne se décide pas tout de suite à écrire, parce que les pensées sont à la fois abondantes et diffuses, et qu’on sent le besoin de les laisser se clarifier, déposer leur limon avant de les verser sur la page ; heures rares et précieuses que le Sagittaire nous dispense en petit nombre, je vais à vous, chaque été, comme à une sorte de retraite annuelle, propice à l’inventaire du passé, à la préparation de l’avenir. Vous êtes la halte réparatrice avant le grand labeur de l’hiver.


Le soir de ma visite au tennis Demonville, je laissai intacte la page où s’irradiait le reflet circulaire de ma lampe. Je ne quittai pas mon fauteuil. Je n’écrivis pas une ligne. Ce redoutable problème, l’éducation du cœur chez la jeunesse, m’obsédait. Que faire pour le cœur de tous ces jeunes êtres, afin qu’ils gardent intacte leur sensibilité, qu’ils ne la gâchent pas comme des enfans déchirent, en s’amusant, une gravure de prix, et qu’en même temps cette sensibilité ne soit pas entravée, opprimée, étouffée par un régime absolu d’ignorance, d’obscurantisme, de froideur ? Le système de séparer les sexes jusqu’au mariage par une cloison inflexible, d’élever d’un côté de la cloison de petits moines, de l’autre côté de petites nonnes, puis de jeter tout d’un coup la cloison à bas et de faire communiquer monastère et béguinage, non, ce système-là est par trop dément, je n’en veux pas, je le repousse !… Mais mélanger garçons et filles en s’en remettant à la nature, en comptant que tout se passera comme s’il y avait une cloison, ce système-ci est plus imbécile encore. Autant que la tyrannie de naguère, le laisser aller du temps présent signifie qu’on se dérobe à un grand devoir. Paresse éducatrice qui mérite ici un autre nom : celui de lâcheté.