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Ah ! j’en conviens, ce n’est guère agréable pour le père, ayant pris les mains de son fils, et le regardant bien dans les yeux, alors que justement ces yeux sont tout troubles d’un incendie intérieur, de lui dire : « — Voici la vie… je ne veux pas que tu l’apprennes d’un autre que de moi, et je veux que tu l’apprennes à temps. Toutes les raisons que j’aurais de m’abstenir seraient malséantes, puisque d’autres, qui ne veulent pas ton bien comme moi, ne s’abstiendront point… Ecoute ! » Et pour une mère, ce n’est pas non plus une partie de plaisir, attirant sa fille contre son sein, que de lui dire : « — Certaine d’avance que les choses que je vais Rapprendre pénétreront un jour prochain dans ton esprit, je veux qu’elles y pénètrent portées par mes paroles, et ton cœur sur mon cœur… » Minute difficile pour le père ou pour la mère, d’autant plus que, si la conversation veut être efficace, elle ne doit point tarder. Laisser passer l’âge ingrat sans avertir, c’est compromettre l’adolescence… Noël Laterrade a douze ans et demi ; cet avertissement que son père a négligé de lui donner, le collège le lui inflige, j’en suis sûr, et Dieu sait dans quelles conditions, avec quelle déformation caricaturale ! Madeleine Demonville a treize ans ; c’est une gamine innocente. « — Quoi ? me dirait sa mère, vous voulez que j’aille obscurcir ces prunelles limpides ?… » Madame, votre fille peut être mariée dans trois ans, dans quatre ans, elle peut être mère… D’ici là, soyez certaine que les yeux dont la limpidité vous ravit s’ouvriront aux réalités, par une curiosité périlleuse ou par la malice d’autrui… Hâtez-vous donc ! C’est le devoir !


Sur ma table, deux petits volumes sont déposés, que j’ai apportés dans mon bagage de vacances. L’un, en usage dans certaines maisons suisses d’éducation, est écrit en français et s’intitule : L’Ecole de la pureté. L’autre s’appelle : What young people should know. Ce que la jeunesse doit savoir). On me dit que dans plusieurs écoles d’Amérique les élèves de douze ans l’ont entre les mains. Votre belle-sœur, ma chère Françoise, ou Mme Demonville s’affoleraient à l’idée de laisser traîner l’un de ces deux livres sous le regard de leurs enfans… C’est pourtant les deux livres qui ont raison, parce qu’ils sont la ligne droite, la sincérité, le courage, tandis que le système de Mme Demonville et de votre belle-sœur, c’est vouloir et ne pas vouloir, c’est