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à sa philanthropie, le souverain prenait à sa charge la nourriture et l’habillement des « pauvres prisonniers, abandonnés jusqu’à ce jour à la misère la plus profonde, » et publiait sa volonté de leur procurer désormais « le logement, la propreté et l’air nécessaires à leur existence. » Enfin l’infirmerie était remise aux mains des Sœurs de Charité, « vouées par état au soulagement des pauvres et qui, dans toute l’étendue du royaume, n’ont cessé de donner des preuves manifestes de leur désintéressement, de leur zèle et de l’utilité de leurs soins[1]. »


La réforme opérée dans le régime pénitentiaire en entraînait bientôt une autre, qui en est comme le corollaire. C’est à Necker qu’est due l’abolition du vieil et redoutable usage, que certains tribunaux, — comme celui du Châtelet, — avaient déjà, en fait, laissé tomber en désuétude, mais dont la pratique se maintenait en plusieurs Cours et tribunaux de province, l’odieuse question préparatoire, qu’il ne faut pas confondre avec la question préalable. Cette dernière, en effet, s’appliquait uniquement aux condamnés à mort, quelques momens avant l’exécution, pour obtenir qu’ils nommassent leurs complices. La question dite préparatoire avait lieu, au contraire, pendant le cours de l’instruction, dans l’espoir d’amener l’accusé à confesser son crime. Depuis longtemps, les philosophes protestaient contre un tel moyen. « C’est une étrange manière de questionner les hommes ! » s’écrie Voltaire, dans une ardente brochure, où il représente l’accusé « hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot, » amené devant un magistrat, au teint rubicond et fleuri, qui le fait longuement torturer, tandis qu’un chirurgien tâte gravement le pouls du patient. Selon ce que dit l’homme de science, le « jeu » s’interrompt ou reprend, jusqu’à ce que le misérable ait parlé, « excellent moyen, dit Voltaire, pour sauver un coupable robuste et perdre un innocent trop faible. « 

Dans une lettre au garde des Sceaux où il ordonne la suppression de cette méthode cruelle, Louis XVI s’approprie les

  1. Les sœurs de charité reçurent aussi pour mission de surveiller tous les détails relatifs à « l’ameublement, la subsistance, les linges et les vêtemens des pauvres prisonniers, » de « faire travailler ceux qui seront en état de le faire, » de s’assurer que ce travail puisse profiter à ceux qui l’auront accompli. — Archives de Coppet.