Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idées et reproduit, jusqu’à un certain point, le langage de Voltaire. « Je me suis toujours demandé, dit-il[1], si, dans l’application de la question, ce n’était pas le plus souvent la force des nerfs qui décidait du crime ou de l’innocence. » Il constatait, d’ailleurs, que d’après les rapports des magistrats les plus instruits, « il était rare que la question préparatoire eût tiré la vérité de la bouche d’un accusé. » Aussi, malgré sa répugnance à « abolir, sans de graves motifs, les lois que leur ancienneté et un long usage ont rendues respectables, » lui paraît-il prouvé qu’un « moyen aussi violent » renferme, tout compte fait, « plus de rigueur contre l’accusé que d’utilité pour la justice. » C’est pourquoi il approuve la proposition de Necker.

L’effet de cette résolution royale fut excellent sur l’opinion publique. Ce passage du gazetier Métra donne la mesure de l’approbation générale : « Si l’Europe, écrit-il[2], admire avec raison les hautes vertus du jeune Titus qui nous gouverne avec tant de sagesse, combien la France ne doit-elle pas être touchée de la sollicitude de son cœur !... Il est probable que les Cours souveraines recevront cet édit avec transport et qu’elles saisiront cette occasion de témoigner leur reconnaissance au Roi, avec autant d’empressement qu’elles en ont lorsqu’il s’agit de soutenir leurs prétendus droits. »


La politique habile et modérée dont j’ai tenté d’esquisser les grandes lignes, les réformes prudentes, pratiques et bienfaisantes dont j’ai noté les principales, avaient produit un résultat, qu’on peut considérer comme un rare phénomène. Après quatre ans d’exercice du pouvoir, le directeur général des Finances était plus en faveur que le jour de son avènement. Louis XVI lui savait gré de ne point l’effrayer par un bouleversement rapide des institutions établies, tout en satisfaisant ses goûts d’économie et ses instincts d’humanité. La Reine était reconnaissante des attentions qu’il avait envers elle, des efforts sincères qu’il faisait pour ne contrarier ses désirs que lorsqu’ils paraissaient vraiment irréalisables. Parmi les grands seigneurs, beaucoup, — les jeunes surtout, qu’attiraient les idées nouvelles, — revenaient de leurs préventions, se ralliaient au ministre qui, sans les inquiéter gravement sur leurs places, sur

  1. 20 août 1780.
  2. Correspondance secrète, 27 août 1780.