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d’un régime qui, non seulement les tolère, mais encore, mais surtout les engendre ? Ce qu’il faut dire, et ce que M. Jules Lemaître n’a pas assez dit, c’est que les autres pays, même les plus florissans, ont eux aussi leurs plaies intérieures, et c’est que, malgré les siennes, la France continue à vivre, à prospérer même, à développer tout au moins les meilleures de ses énergies vitales, et qu’on ne rechercherait ni son amitié, ni son alliance, si, comme on risque de nous le suggérer, — et de le suggérer aux étrangers, — elle agonisait depuis quarante ans. L’auteur des Opinions à répandre, à propos d’un livre soi-disant allemand. Au pays de la Revanche, a écrit un article, l’Utile ennemi[1], dont l’injuste et absolu pessimisme a dû faire trop de plaisir au delà du Rhin.

En second lieu, cette première campagne d’opposition a eu pour caractère essentiel d’être rigoureusement constitutionnelle. Ce que M. Jules Lemaître et ceux qui combattaient à ses côtés, de propos très délibéré, ont voulu modifier, ce n’est point la forme de nos institutions politiques, ce n’est pas le régime républicain lui-même, c’est le « personnel » qui le représente et qui l’applique ; ils ne visaient qu’à améliorer, non à détruire ; ils ne mettaient en discussion ni le fait accompli au 4 septembre 1870, ni « les principes de 89, » ni la Révolution ; dans la pratique, leur ambition n’allait qu’à obtenir en 1902 de « bonnes élections, » et donc des Chambres libérales et un gouvernement réparateur. « En attendant, ne rougissez jamais de la Révolution, » déclarait en propres termes l’auteur du Député Leveau Et pendant quelques années, il n’a jamais dit autre chose.

Et depuis ? Depuis, au grand scandale de quelques-uns de ses anciens amis et de ses plus fervens admirateurs, l’auteur des Rois, comme l’on sait, est devenu royaliste. A Paris et en province, il préside des banquets, des congrès, de grandes réunions publiques, des séances inaugurales ; il y porte des toasts, y prononce des allocutions ou de véritables discours ; il écrit dans un journal « ardent, violent contre le désordre et révolutionnaire par amour de l’ordre, » et, tout étonné, lui, l’homme de la sagesse aimable, modérée et souriante, de se trouver en compagnie si tumultueuse, il se demande si sa jolie prose n’y va pas « paraître un peu molle et un peu terne d’accent ; » dans

  1. Ce livre d’un prétendu docteur Rommel était d’un Français qui croyait faire œuvre patriotique en jouant à ce jeu dangereux.