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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/839

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ses discours et dans ses articles, il raconte à qui veut l’entendre l’histoire de sa conversion, et prêche avec énergie le nouvel Evangile politique, « le nationalisme intégral » et « la monarchie positive. » Ceux qu’il appelle « les plus pénétrans génies du siècle passé, » Maistre, Rivarol, Donald, Comte, Balzac, Le Play, Taine, Fustel, Renan, sont devenus ses maîtres ; à leur école, il a rappris l’histoire de France, et il les cite avec abondance. Il honnit la Révolution, maudit le suffrage universel, conspue la République parlementaire ; il prodigue ses encouragemens et ses vœux aux « Camelots du Roi » et aux « jeunes filles royalistes ; » il se défend de les « exhorter à la modération ; » il se fait l’apologiste et presque le garant de « Philippe VIII. » Il a « le sentiment d’être dans la vérité, dans la vérité humaine, dans la vérité de toujours. » En un mot, il a la foi, — j’entends la foi royaliste, — et il est « merveilleusement tranquille. » Et il a pris comme ex-libris une devise tirée du fameux distique de Gil Blas : Inveni portum... Il a trouvé le port, et « une grande sécurité morale. » L’heureux homme ! Et que j’envie sa tranquillité d’âme !

Mais il faut essayer de tout comprendre, même, — et surtout, — les idées que l’on partage le moins. Comment M. Jules Lemaître est-il arrivé à ces convictions bienfaisantes ? Son évolution politique est facile à reconstituer, car il nous en a, plus d’une fois, indiqué toutes les étapes. Il disait un jour à Bordeaux, en y fêtant « la Saint-Philippe : »


Aux réunions de l’Armée du Salut, il y a de bonnes gens, généralement d’anciens ivrognes, qui montent sur l’estrade pour confesser leur erreur et raconter leur conversion. Ces manifestations s’appellent des « témoignages. » Je ne suis pas, messieurs, un ancien ivrogne, sinon dans un sens extrêmement métaphorique et pour m’être grisé autrefois du mauvais vin des principes de la Révolution. Mais, ma foi, je monte sans vergogne sur les estrades, non par plaisir, mais pour raconter mes aberrations passées, et pour que mon exemple rende témoignage à la vérité.


Recueillons donc ce témoignage. Il a son prix, même symbolique. Car, on ne saurait se le dissimuler, ce « nouvel état d’esprit » est plus répandu qu’il ne semble, et non pas seulement dans les milieux soi-disant « réactionnaires » par tradition ; il est partagé par d’authentiques, par de « vieux républicains ; » la doctrine monarchiste par positivisme a fait d’abondantes recrues ces dernières années, notamment, symptôme