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qui devrait être inquiétant pour les hommes au pouvoir, parmi la jeunesse des écoles. Je doute, pour ma part, qu’elle ait l’avenir pour elle ; je crois que la République, en France, ne peut périr que par ses fautes, mais elle peut périr par ses fautes, et il ne nous faudrait pas beaucoup de ministères comme les deux derniers dont nous avons été gratifiés, et surtout comme le ministère Combes, pour amener, à brève échéance peut-être, un changement de régime. On connaît le mot célèbre de Duclos : « Ils en feront tant, disait-il des Encyclopédistes, qu’ils vont me faire aller à la messe. » Quel est le républicain libéral qui, à certaines heures d’une domination « abjecte, » — il faut rappeler cette épithète historique, — n’a pas dit en son cœur : « Ils en feront tant qu’ils vont me rendre royaliste ? » Quelques-uns ont accueilli, médité, approfondi cette boutade ; ils l’ont convertie en une doctrine. Et je crois bien que tel est le cas de M. Jules Lemaître.

Il faut le laisser parler lui-même :


J’ai été républicain longtemps, ardemment, presque religieusement. J’avais dix-sept ans au moment de la guerre ; je lisais en secret des pages des Châtimens, et je regardais le Deux Décembre comme le plus grand des crimes. Lorsque la République fut proclamée, ce fut pour moi, malgré l’horreur de la défaite commencée, comme une « épiphanie… » À l’École normale, sous l’athénien Bersot, je continuai de croire à la République… Plus tard, professeur en province, mes illusions persistèrent. Le « Seize mai » me remplit d’indignation, et j’eus la fièvre le jour de la réélection des 363. Et, cependant, je me repaissais de littérature romantique… Je rentrai à Paris… Je n’avais pas, personnellement, à me plaindre du régime… Mais déjà, en province, j’observais partout les monstrueux effets de la tyrannie républicaine. Toutefois, je ne fus pas boulangiste, et je m’en étonne encore. Mais c’est que j’avais eu l’occasion de voir de près le général. La République commençait à me guérir de la République. La vie m’avait déjà guéri du romantisme[1]


Puis vint l’« Allaire, » et la « Patrie française » qui, en devenant malgré lui une ligue électorale, « compléta son expérience. » Il vit « la réalité comme elle était, » c’est-à-dire « abominable ; » il connut « les coulisses du suffrage universel et la cuisine de la démocratie ; et comment le système électif, appliqué aux choses de la politique, devait aboutir mécaniquement

  1. Lettres à mon ami, 1909 (Comment Je suis devenu royaliste), p. 10-12. Nouvelle librairie nationale, 1910. — La même librairie a publié un intéressant volume de Pages choisies de M. Jules Lemaitre.