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caractéristique des préoccupations qui, quelques années plus tard, vont pousser l’auteur des Opinions à répandre à quitter sa tour d’ivoire. Ce n’est point un roman royaliste, — oh ! non, — et même de fervens démocrates pourront en recommander la lecture à ceux qui risqueraient d’être « pervertis » par les Lettres à mon ami ou par les Discours royalistes. Il pourrait en effet avoir pour sous-titre : De l’incompatibilité de la fonction royale avec nos démocraties contemporaines, et, dans la mesure où une thèse de ce genre peut être démontrée au cours d’une œuvre romanesque, elle est fort bien établie dans les Rois. Peut-être même l’est-elle trop bien : car évidemment, la thèse dans l’esprit du romancier a préexisté à la conception du roman, a déterminé l’invention de l’intrigue et des personnages, et, en s’imposant trop impérieusement à l’auteur, l’a empêché de travailler, comme on aurait pu le souhaiter, avant tout sur le modèle vivant.

Il y aurait à cet égard une très instructive comparaison à esquisser entre les Rois en exil, de Daudet, et les Rois de M. Jules Lemaître. Je ne serais pas étonné que celui-ci eût voulu rivaliser à sa manière avec son illustre devancier. Les Rois en exil, « le plus distingué des romans d’Alphonse Daudet, » disait-il, semblent en effet l’avoir vivement frappé : « Cette fois encore, ajoutait-il, notre écrivain a eu la bonne fortune de rencontrer un sujet original, intact et bien contemporain[1]. » Or, quoi qu’on puisse penser par ailleurs du roman de Daudet, il est certain qu’il est plein de « choses vues, » de détails pris sur le vif, de figures vivantes. Je n’ai pas cette impression en lisant les Rois. Je ne dis pas que Wilhelmine, Otto, le roi Christian, même Frida et Hermann soient des personnages irréels et invraisemblables ; mais, en dépit des efforts de l’écrivain pour les concrétiser, si je puis dire, pour dessiner d’eux des portraits précis, pour les mêler à des incidens dramatiques, — et même mélodramatiques, — ils me semblent sortir des livres beaucoup plus que de la vie ; ils sont, ou du moins ils paraissent bien plutôt l’habile mise en œuvre d’une idée abstraite, d’une idée critique, que la copie fidèle, que la transposition artistique de caractères empruntés directement à la vie réelle. Ajoutez à cela que le « métier, » dans le roman de

  1. Revue Bleue, 7 avril 1880 non recueilli en volume.