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comme dirait un théologien, mais adouci par une profonde et mélancolique pitié, le culte et la prédication discrète des deux vertus cardinales mises en honneur par le christianisme, l’humilité et la charité : voilà, si je ne me trompe, les principaux traits qui caractérisent les théories morales de l’auteur de Révoltée. Personne, — M. Doumic l’a fort bien dit, — n’a mieux exprimé l’état d’esprit de l’ « honnête homme » d’aujourd’hui resté chrétien presque malgré lui.


Le plus probable, — écrivait-il en un jour d’optimisme, — c’est que la condition humaine s’améliorera peu à peu par la bonté, mais par la bonté simplement humaine, et aussi par cette notion lentement répandue, que l’intérêt de chacun se confond ou tend à se confondre avec l’intérêt de tous, et que l’égoïsme est une duperie. Et le monde ira comme il pourra... L’humanité pourra s’accorder dans la résignation même à l’ignorance métaphysique, et dans le sentiment que votre solution, à vous (il s’adresse à Louis Veuillot) est impossible. Seulement, nous profiterons de vos indications : Nous serons moins dupes de la « Déclaration des droits de l’homme, » nous concevrons mieux que c’est sur les cœurs qu’il faut agir et que l’apparente justice géométrique des lois n’est rien si le désir de la justice et de la charité ne sont point en nous.

M. Jules Lemaître a été de moins en moins dupe de la Déclaration des droits de l’homme, et pour améliorer la condition humaine, tout au moins dans son propre pays, il a fini par compter sur autre chose que sur le naturel développement de la bonté et de l’agnosticisme. Son optimisme social et même politique a fait place à un pessimisme plus proche parent des conceptions de Hobbes que de celles de Rousseau. Peut-être a-t-il trop aisément cru que la charité et même la justice ont des fondemens purement rationnels : et peut-être, s’il avait résolument étudié à la lumière de l’idée religieuse les problèmes d’organisation sociale, peut-être se fût-il épargné, après des illusions trop grandes, des déceptions trop amères. En sociologie comme en morale, les qualités et même les vertus de l’ » honnête homme » ne suffisent pas toujours.

Mais elles suffisent en littérature, quand elles sont jointes au don du style, à soutenir et à inspirer une œuvre originale et variée. « Ce qui est sûr, déclarait M. Jules Lemaitre lui-même en commençant son cours sur Racine, c’est que je suis content de n’avoir plus à examiner et à juger les idées. Dans l’art pur et dans la connaissance des âmes et des mœurs, — qui fut une