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des occupations du XVIIe siècle, — on peut arriver à quelque chose de solide et de définitif : dans la philosophie ou la critique ou les sciences politiques et sociales, je ne sais pas. « Il me semble que l’ingénieux écrivain nous révèle ici sa vocation secrète et préférée, en même temps que les raisons de son culte croissant pour l’idéal classique. A la fin de son Rousseau, il nous confie qu’il a « adoré le romantisme, » et l’on voit qu’il s’en détache avec regret, qu’il le trouve encore « séduisant, » et il avoue qu’ » il eût été triste qu’il ne fût pas né. » Mais enfin, et quoiqu’il eût été fort ingrat d’être trop sévère à la « littérature personnelle, » il lui a dit adieu pourtant. En relisant Racine « pour la centième fois, » — il nous assure qu’il « n’exagère pas, » — il a pris plus fortement conscience que jamais de la vraie tradition française, et il a senti qu’il l’avait, d’instinct, presque toujours suivie. Revêtir d’une forme d’art élégante, sobre, discrètement harmonieuse, l’observation morale la plus lucide et la plus profonde, faire de l’art littéraire ainsi compris la parure de la vie sociale et le divertissement choisi des honnêtes gens : telle lui paraît être, et de plus en plus, la mission propre du génie français. Allez au fond des choses : parmi quelques incartades et de brillantes fantaisies de jeunesse, c’est bien à cet idéal que M. Jules Lemaitre, dans ses œuvres d’imagination comme dans sa critique, est demeuré toute sa vie fidèle ; c’est bien cette « doctrine littéraire » qui se dégageait déjà de ses premiers Contemporains, et qu’il hésitait à formuler ; et presque à son insu, c’est à ce constant point de vue qu’il s’est toujours placé pour juger des « ouvrages de l’esprit[1]. « Il y a, je crois, d’autres conceptions de la littérature : il n’y en a pas qui soit plus conforme à la destinée spirituelle de notre race ; il n’y en a pas non plus qui réponde mieux au tempérament intime, à l’heureuse et fine nature de l’auteur des Contemporains. Et à ce titre, ainsi qu’à beaucoup d’autres, il vient se placer comme de lui-même dans la glorieuse lignée de nos grands écrivains classiques.

  1. Dans l’un de ses tout premiers articles à la Revue Bleue (non recueilli en volume), sur le Mouvement poétique en France, il disait déjà : « L’esprit de la race française, si naturellement apte à l’étude de la réalité et à la connaissance de l’homme, éclate enfin librement dans la poésie où il a été si souvent contrarié par des modes, des partis pris, des influences étrangères... Bref, on revient à l’honnête axiome de ce digne Boileau : Rien n’est beau que le vrai... » (Revue Bleue du 9 août 1879, p. 126-127).