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je le saisis ici en contradiction. J’aurais, je crois, à atténuer cette condamnation pour contradiction, mais de mon jugement actuel il restera toujours quelque chose : « Les femmes peuvent-elles, d’une façon générale, être justes ? Le peuvent-elles, étant si accoutumées à aimer, à prendre tout de suite des sentimens pour ou contre ? C’est d’ailleurs pour cela qu’elles sont rarement éprises des choses, plus souvent des personnes ; mais quand elles le sont des choses, elles en font aussitôt une affaire de parti (c’est-à-dire de personnel et en corrompent l’effet pur et innocent. De là un danger qui n’est pas méprisable si on leur confie la politique et certaines parties de la science. Car qu’y aurait-il de plus rare qu’une femme qui saurait réellement ce que c’est que la science ?... Peut-être tout cela peut-il changer ; en attendant, c’est ainsi. »

Oui, Nietzsche me semble se contredire en disant d’une part que c’est la femme qui est intelligente et l’homme passionné et en disant d’autre part que c’est à l’homme passionné qu’il faut laisser la politique et à la femme intelligente qu’il faut l’interdire.

Il me répondrait sans doute que je l’ai bien interprété plus haut et que la femme n’a que l’intelligence pratique, qu’elle est avisée. Oui bien ; mais précisément la politique veut surtout de l’intelligence pratique et surtout qu’on soit avisé. Il reste quelque chose de ceci que j’ai dit, que Nietzsche se contredisait.

Il est vrai qu’il ajoute que les choses pourront changer. C’est justement ce que je crois, et qu’elles changent déjà, et que les femmes transforment peu à peu leur intelligence pratique en une intelligence mi-pratique et mi-abstraite. Je crois qu’aujourd’hui certaines femmes « savent ce que c’est que la science. »

De plus, si Nietzsche croit que « peut-être tout cela peut changer, mais qu’en attendant cela est ainsi, » c’est qu’il n’ignore point jusqu’à quel dépit du bon sens les femmes modernes sont élevées ; sur l’éducation des jeunes filles il n’a touché qu’un point, à mon grand regret, mais le point principal, à savoir la question Agnès, la question de savoir s’il faut laisser aux jeunes filles ce fameux « velouté de la pêche » dont tous les Arnolphe sont si friands et à la conservation duquel ils ont sacrifié d’abord tout bon sens, ensuite le bonheur des femmes, ensuite le leur même. Sur ce point Nietzsche est très net. Aucun « Ariste » n’a été plus décisif : « Il y a quelque chose de stupéfiant