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et de monstrueux dans l’éducation des femmes de la haute société ; il n’y a rien peut-être de plus paradoxal. Tout le monde est d’accord pour les élever dans une ignorance extrême des choses de l’amour, pour leur impliquer une pudeur profonde et leur mettre dans l’âme l’impatience et la crainte devant une simple allusion à ces sujets. En cela elles doivent demeurer ignorantes jusqu’au fond de l’âme ; elles ne doivent avoir ni regards, ni oreilles, ni paroles, ni pensées pour ce qu’elles doivent considérer comme le mal, et rien que de savoir est déjà un mal. Là-dessus, les voilà brusquement jetées par le mariage, comme par un horrible coup de foudre, dans la réalité et la connaissance ; surprenant l’amour et la honte en contradiction, éprouvant dans un même objet le ravissement, le sacrifice, le devoir, la pitié et l’effroi, que sais-je encore ? Et encore l’initiateur est celui qu’elles doivent le plus aimer et vénérer ! On a créé là un enchevêtrement de l’âme qui chercherait en vain son pareil... Les jeunes femmes s’en tirent en s’efforçant de paraître superficielles et étourdies (elles veulent dire : je n’ai pas été étonnée ; je suis d’âme forte), les plus fines simulent une espèce d’effronterie (elles veulent dire peut-être : je savais d’avance. Si c’est cela qu’elles veulent dire, ce ne sont pas les plus fines.) Toutes ont besoin de l’enfant et le souhaitent dans un tout autre sons que ne le souhaite l’homme. (Elles le souhaitent comme une sorte de réhabilitation.) »

Je n’ai pas besoin de dire que, sur cette affaire, je ne discuterai pas avec Nietzsche, tant je suis absolument de son avis. Des « oies blanches » j’ai toujours dit : il faut être blanche ; mais il ne faut pas être oie.

Par cet exemple, unique je crois, on voit ce que pense Nietzsche de toute l’éducation féminine telle qu’elle devait être, et quelle « femme de demain » il souhaite, très différente de la femme-enfant, si chérie des antiféministes. Il reste à regretter qu’il n’en ait pas dit davantage sur ce grand sujet.

Sur l’amour, Nietzsche a été un peu plus explicite, sans l’être assez à notre gré. Au fond, il ne l’aime pas et il lui préfère infiniment l’amitié, dont il a fait cent fois et magnifiquement l’éloge, et il ne l’aime que quand il ressemble extrêmement à l’amitié. Voilà le gros des choses, voilà le noyau, à quoi je prie qu’on se ramène toujours en lisant ce qui va suivre.

Nous pouvons voir d’abord Nietzsche se moquant spirituellement