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Dans l’air doré. Vois-le, plus agile qu’un faon,
Traverser la lumière éclatante qu’il fend.
Ses sauts déjà rythmés te caressent l’ouïe.
Et ta vue étonnée en demeure éblouie.
Pourtant, nul n’enseigna, tu le sais, ô berger,
La divine cadence à ton chevreau léger ;
Et ce fier don qu’est l’art de bondir en mesure
D’un roc à l’autre, et, dans son ardeur neuve et sûre,
D’effleurer en volant le gazon nourricier
Rien qu’à détendre l’arc de ses jarrets d’acier
Parmi les sombres boucs et les chèvres voraces,
Lui reste comme un legs des siècles et des races.

LES ÉMULES


Le laboureur disperse un engrais fécondant
Et sillonne la glèbe immuable, pendant
Que je plie à former les sons ses jeunes lèvres
Sur la flûte de buis qui fait rêver les chèvres
Et qui rend les béliers dociles. Regardez :
La pelouse où l’heureux hasard nous a guidés
A de plus molles fleurs, dont s’épand l’âme agreste.
Du brouillard matinal nulle écharpe ne reste.
L’azur semble vibrant de lumineux accords,
Et le site offre au loin, parmi de frais décors,
Un pré clos de suave et neigeuse aubépine.
Le merle qui sifflait au moineau qui rapine
Impose le silence, écoute et, sans façon
S’étant tu, prend sa part de la tendre leçon,
Car, bien que prête encore à quelque agile fugue,
Toute aile est suspendue au chant qui la subjugue.
Et moi, pasteur vieilli du troupeau que les Dieux
Mont donné, j’éparpille en bruits mélodieux
Mon souffle tiède aux trous de l’instrument sonore
Et l’éphèbe devine enfin l’art qu’il ignore.
Qui sait ? devant ce même horizon familier,
Le maître, un jour, sera peut-être l’écolier.
Et les airs qu’une bouche enfantine module
A leur tour séduiront mon oreille incrédule.