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par beaucoup de bienveillance assaisonnée d’esprit naturel. Quelques années plus tard, en 1759, lorsqu’il épousera Anne-Claudine Meyneaux de la Tour, veuve du financier Mazade, tous deux deviendront célèbres, pour la ferveur de leur tendresse conjugale, tellement inséparables, qu’à Villers-Cotterets. on les plaçait côte à côte, même dans les repas de grande cérémonie, — ce dont clabaudait ferme une galerie par trop imbue du Préjugé à la mode.

En outre, ce brave homme se complétait d’un homme brave, d’un officier de toute vaillance. Colonel de Bassigny-Infanterie, puis du régiment d’Orléans-Dragons, il avait sabré les grenadiers de Koenigsek et galopé les charges de Fontenoy. Depuis 1748, il était maréchal de camp et deviendra lieutenant général, pour son courage aux journées de Minden.

L’esprit prime-sautier de Carmontelle, son entrain, sa fantaisie toujours prête, certaines affinités de goûts, de sentimens et de caractères, rapprochèrent le gentilhomme du « maître à dessiner. » M. de Pons était assidu à Dampierre, il y rencontrait chaque fois son modeste compagnon ; l’adresse respectueuse de celui-ci cimenta cette affection naissante ; bientôt le comte ne put se passer de son favori, résolut de l’attacher à sa fortune.

Les conjonctures étaient malaisées. Bernis et Stahrenberg venaient de signer le premier traité de Versailles, la « Guerre des trois cotillons » commençait. Après les premiers succès du maréchal de Richelieu, en Hanovre, ç’avait été la débâcle de Rosbach, M. de Pons reçut l’ordre de rejoindre l’armée de Westphalie ; il emmena Carmontelle, dans ses bagages, au titre d’aide de camp et d’officier ingénieur.

Orléans-Dragons s’en vint cantonner à Wesel, au confluent de la Lippe et du Rhin. Richelieu disgracié s’était vu remplacer par le comte de Clermont, l’invraisemblable général-abbé, « moitié plumet, moitié rabat. » Tout cuirassé qu’il fût d’indifférence, l’arrière-petit-fils du grand Condé s’ébahit au spectacle des troupes : « J’ai trouvé l’armée de Votre Majesté, écrit-il à son royal cousin, divisée en trois corps très différens. Le premier est sur la terre, il est composé de voleurs, de maraudeurs, tous gens déguenillés jusqu’à la tête ; le second est sous la terre et le troisième dans les hôpitaux. » Pourtant ni lui, ni Mortaigne, son mentor, n’essayèrent d’atténuer le désordre. Au contraire, le commandant en chef donnait l’exemple ; ses fourgons