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surgir au château de Dampierre, très avant dans l’amitié des ducs de Chevreuse et de Luynes, l’auteur des Mémoires, enseignant le dessin au vidame d’Amiens, un élève de dix-sept ans, u l’homme le plus déséquilibré de son temps, » selon Mme de Genlis, et qui devait si bien s’enfuir en Egypte, abandonnant son épousée, le jour même de ses noces : — un bel esclandre.

Son talent de portraitiste, son adresse à saisir les ressemblances, à rendre l’expression des physionomies, allaient, dans cette famille puissante, merveilleusement servir la fortune du manieur de crayons. Entre deux séances de perspective ou de ronde bosse, il « croquait » les châtelains qui lui dispensaient le vivre et le couvert. Il silhouetta de la sorte ses hôtes, avec leurs visiteurs, et, ces profils aux deux crayons, rehaussés de gouache ou de sépia, sont les premiers en date de cette étonnante collection de Chantilly, le plus précieux document iconographique, qui nous ait été conservé, pour l’histoire des dernières années de la Monarchie.

Utilisant ses connaissances techniques, on doit présumer aussi qu’il s’employa à transformer et embellir le parc qui dresse, encore aujourd’hui, ses frissonnantes ramures au-dessus de la vallée de Chevreuse.

Surtout, Carmontelle, à Dampierre, noua de profitables relations. Les Luynes recevaient beaucoup, pratiquant une opulente hospitalité. Parmi tant de gentilshommes, de nobles dames et de dignitaires, empressés à suivre les chasses, à jouer la charade, à pratiquer le pharaon ou le reversi, quelqu’un particulièrement remarqua l’humble et souple gribouilleur. C’était un grand seigneur doublé d’un soldat, le comte de Pons Saint-Maurice, et l’amitié qui allait unir le protégé au protecteur ne devait finir qu’avec la mort et renouveler sa destinée.

Emmanuel-Louis-Auguste de Pons Saint-Maurice avait alors quarante-quatre ans, l’âge des amitiés tardives chez ceux qui en furent privés, et devait conserver jusqu’après la cinquantaine « la plus belle figure et l’air le plus majestueux qui soient. » Sa politesse était fameuse, en ce siècle des courtoisies raffinées, et, plus encore, sa connaissance de l’étiquette. Depuis trois ans passés, il était gouverneur de M. de Chartres, et premier gentilhomme de la Chambre du Duc d’Orléans. Très bon. très affable, très indulgent, il rachetait son manque de culture