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de Carmontelle qu’à la grande hâte avec laquelle il devait expédier sa tâche. En revanche, on ne peut méconnaître l’art véritable qu’il apporte à composer ses tableautins, adaptant les accessoires aux personnages, complétant en quelque sorte leur physionomie par le décor dont il les enveloppe. On reconnaît ici l’ordonnateur insigne des pompes du grand monde, le metteur en scène accompli qu’on ne prenait jamais au dépourvu. Ses intérieurs d’appartement sont merveilleux de goût et d’élégance : lambris aux tentures damassées, tables, chaises, fauteuils, guéridons, obligeantes et bonheurs du jour, attestent le talent de ces grands décorateurs, les François Leleu, les Carlin, les Riesener, les Œben, les Beneman. Et quel accord parfait entre le costume et le mobilier ; habits de cour et robes à falbalas, garnitures, broderies, dentelles, rubans prodigués en bouquets multicolores sur la poudre des cheveux, sur les corsages, autour des jupes ; dans quel délicat ensemble s’harmonise la parure des corps et celle des logis !

Toutefois, ce que préfère Carmontelle, ce sont les fonds de plein air, parcs somptueux aux grands escaliers de marbre, avec treillages et berceaux, quinconces, boulingrins, vasques et naumachies, temples dédiés à l’amour, ruines d’une antiquité naïve, toute cette nature arrangée où s’est complu le XVIIIe siècle et que semblent encore traverser comme des souvenirs de l’Astrée. Là, parmi ces paysages enchantés, sous des ciels d’or et de pourpre, dans la lumière tendre des soirs, il aime le plus volontiers à camper ses personnages fringans et pomponnés, d’allure tant désinvolte, l’air si joyeux de vivre. Hélas ! encore un peu de temps, et ce sera, pour eux, le réveil brutal, l’atrocité des vengeances sans merci, l’ignominie des geôles, les massacres, la guillotine et, pour les moins infortunés, la marche douloureuse, l’étape lamentable sur tous les chemins d’exil !


IV

Cependant, Mme de Montesson poursuivait son entreprise. En dépit de son rang, n’ayant jamais été gâté des femmes, le Duc d’Orléans ignorait leur astuce. Tombé dans les mains d’une rusée coquette, il ne manqua point d’en devenir le jouet. « Le mariage est un piège que la nature nous tend, » dira un jour Schopenhauer : dans le filet matrimonial où il était engagé, le