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pauvre prince s’empêtrait chaque jour davantage. La marquise menait un siège insidieux, tenant son rôle avec maîtrise, surexcitant la jalousie de son galant, aiguillonnant ses désirs de vertueux relus et de scrupules pudibonds, l’exaltant tour à tour et le désespérant.

Pour mieux circonvenir sa dupe, elle l’avait environnée de ses créatures : la présidente de Gourgues, pédante et vaporeuse, la princesse de Chimay. la marquise de Livry. Tout un escadron d’adorateurs papillonnait à l’entour : le chevalier de Jaucourt, dit Clair de Lune, le chevalier de Coigny, un « Mimi, » paraît-il, fort séduisant, le comte de Chabot, le marquis d’Estrehan, confident et directeur de maintes intrigues mondaines ; contraste voulu d’où ressortaient davantage les chastes mérites de « l’Immaculée. »

Désormais, à Bagnolet comme à Villers-Cotterets, c’en est fini des spectacles décolletés et des parades grivoises. Collé, disgracié, ne fera plus au château que de rares apparitions. Bons pour une demoiselle Le Marquis, le gros rire et les plaisanteries salées ; Mme de Montesson, fondant son empire sur la respectabilité, prétend qu’on s’amuse dans les formes.

Sur le théâtre d’Orléans, on joue maintenant le drame sentimental, le larmoyant Beverley, adapté, d’Édouard Moore, dont s’est entichée la sensible marquise ; on interprète les chefs-d’œuvre classiques, le Misanthrope où triomphent Mme de Blot, dans Célimène et le comte de Pons, dans Alceste. À condition qu’elles soient « décentes, » Mme de Montesson s’aventure encore aux nouveautés : Rose et Colas, le Déserteur, Aline reine de Golconde. Elle y fait acclamer une voix menue, mais agréable, et d’ailleurs Sedaine et Monsigny ont reçu la consigne de la couvrir d’éloges aux répétitions, de ne jamais la reprendre qu’en tête à tête. Ne faut-il pas convaincre le duc qu’elle possède tous les talens ?

Carmontelle, en cette occasion, continuait d’être pour la marquise un auxiliaire précieux et pour sa troupe de comédiens amateurs une aide toujours prête. Il dessine les costumes, brosse les décors, fait office de souffleur et de metteur en scène. C’est l’homme universel, le factotum, le maître Jacques indispensable et bientôt, par surcroît, il va se révéler auteur dramatique. Depuis l’éloignement de Collé, la noble compagnie manquait fâcheusement d’inspiration. Impossible de rimer le