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moindre impromptu, de tourner proprement la plus légère bluette. A s’entêter aux pièces du répertoire, les acteurs de fortune risquaient de périlleuses comparaisons et, d’autre part, Mme de Montesson se défiait justement d’elle-même. Ce n’est que plus tard, après le mariage, qu’elle se hasardera à régaler ses auditeurs forcés des produits de son Phébus. Carmontelle, encore une fois, fit éclater les ressources de son esprit inventif.

La mode était revenue aux proverbes. On les avait vus autrefois, fort en vogue, sous Louis XIII : « Chloris ne joue à rien, si ce n’est aux proverbes, » constatait déjà Sarrazin. Vers 1770, ils tournaient toutes les têtes. On les mettait en quadrilles, en menuets, en figures de ballet. On les mimait, on les jouait aussi, ou tout au moins on essayait. La maxime choisie, sur un canevas d’ensemble, les interprètes devaient, à leur fantaisie, broder un développement approprié.

C’était ensuite aux spectateurs de deviner le texte soumis à leur perspicacité.

Il n’allait pas toujours sans inconvéniens de s’en remettre ainsi à l’improvisation de chacun. Mlle d’Epinay conte, à ce propos, la mésaventure advenue au philosophe-historien David Hume, que son scepticisme notoire aurait bien dû, semble-t-il, mettre à l’abri d’une pareille disgrâce.

« Il fit, dit-elle, ses débuts chez Mme de T... on lui avait destiné le rôle d’un sultan assis entre deux esclaves, employant toute son éloquence pour s’en faire aimer ; les trouvant inexorables, il devait chercher le sujet de leurs peines et de leur résistance. On le place sur un sofa, entre les deux plus jolies femmes de Paris, il les regarde attentivement, se frappe le ventre et les genoux à plusieurs reprises et ne trouve jamais autre chose à leur dire que : Eh bien ! mesdemoiselles, eh bien ! vous voilà donc... Eh bien ! vous voilà .. vous voilà ici... Cette phrase dura un quart d’heure, sans qu’il pût en sortir. Une d’elles se leva d’impatience : Ah ! dit-elle, je m’en étais bien doutée, cet homme n’est bon qu’à manger du veau. »

Pour éviter ce désagrément, Carmontelle imagina d’écrire les proverbes à l’avance. Il se contenta tout d’abord de tracer un plan général, d’indiquer les scènes et les situations, d’esquisser les divers personnages. Dans la suite, cette nouveauté ayant réussi, il se prit à les dialoguer d’un bout à l’autre