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ouvert en quelque sorte la voie aux chefs-d’œuvre du « Divin Théâtre, » qu’il faudrait au moins lui accorder l’honneur d’une mention dans notre histoire littéraire. Trente ans après sa mort, sa mémoire était déjà perdue... cependant, l’auteur d’Il ne faut jurer de rien possédait son œuvre complet dans sa bibliothèque, et se rappelait, parfois trop bien, ses enthousiasmes d’enfant, lorsque, vingt ans plus tôt. son grand-père maternel débitait, en famille, des tirades entières de l’amuseur oublié[1].


V

Vers 1780, la fortune de Carmontelle atteignait son apogée.

Il écrit des romans d’ailleurs pitoyables : le Duc d’Arnay, le Triomphe de l’Amour sur les mœurs du siècle, fait représenter à la Comédie Italienne l’Abbé de Plâtre, « avec un succès un peu moins mince que la pièce. »

Mme de Montesson, ses ambitions couronnées et devenue Duchesse d’Orléans, lui continue sa haute protection. Avec Lefèvre, secrétaire de la dame, aux appointemens respectables de 6 000 livres par an, il est chargé de corriger ses pièces, de remettre sur pied ses alexandrins boiteux. Il loge au Palais-Royal avec les officiers de la Maison, assiste aux réceptions, prend même aux petits jours sa part des soupers intimes, à côté des nobles invitées, que le Duc de Chartres divise fort impertinemment en trois catégories ; les Jolies, les Agréables et les Abominables.

Aux grands jours, il est l’ordonnateur des fêtes, l’oracle écouté des réjouissances et des mascarades. Il s’y montre sans égal, et sa réputation justifiée rayonne et s’étend par les châteaux princiers, voire les alcôves galantes. A Issy, nous apprend la Correspondance secrète, c’est lui qui règle le Divertissement donné par Mademoiselle à la jeune Duchesse de Chartres, et Mlle Guimard recourt à ses lumières, pour l’inauguration du fameux Temple de Terpsichore de la chaussée d’Antin.

Il n’est pas interdit de penser que l’aimable sexagénaire trouvait son compte à ces consultations et faisait reconnaître ses services d’une autre monnaie qu’en « menus suffrages. »

En 1785, le Duc d’Orléans trépassa d’apoplexie, au château

  1. Les Proverbes dramatiques de Carmontelle ont été successivement édités par Méry en 1822 et par Mme de Genlis en 1825.