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l’Histoire de ma vie où George Sand raconte ses relations avec le musicien polonais est très sujet à caution. Il fut écrit au lendemain de la brouille, avec cette puissance d’oubli qu’on a souvent constatée chez celles qui n’aiment plus. Il existe, me dit-on, une lettre de George Sand où, priée de se rendre au lit de mort de Chopin, elle décline l’invitation en des termes qui font peu d’honneur à sa sensibilité. Pour ce qui est de la correspondance de George Sand, ordinairement si riche de renseignemens et si éclatante de sincérité, elle a été publiée par Maurice Sand qui détestait Chopin. Le fils a soigneusement éliminé tout ce qui avait trait à l’amant. Il est difficile de le lui reprocher très sévèrement ; mais le fait subsiste. Enfin, et ceci est tout à fait digne de remarque, les lettres de George Sand à Chopin, retrouvées, après la mort de Chopin, dans des circonstances des plus bizarres, ont été détruites par George Sand elle-même ; les lettres ont leur destin : c’est une aventure singulière et qui mérite d’être contée.

Donc, en 1831, Alexandre Dumas fils se trouvait, non pas à Paris, proche le Vaudeville, mais à Mystowitz qui est une ville de Silésie. Il écrit à son père : « Tandis que tu dînais avec Mme Sand, cher père, je m’occupais d’elle. Qu’on nie encore les affinités ! Figure-toi que j’ai ici toute sa correspondance de dix années avec Chopin. Je te laisse à penser si j’en ai copié de ces lettres, bien autrement charmantes que les lettres proverbiales de Mme de Sévigné. Je t’en rapporte un cahier tout plein, car, malheureusement, ces lettres ne m’étaient que prêtées. Comment se fait-il qu’au fond de la Silésie, à Mystowitz, j’aie trouvé une pareille correspondance, éclose en plein Berry ? C’est bien simple. Chopin était Polonais, comme tu sais ou ne sais pas. Sa sœur a trouvé dans ses papiers, quand il est mort, toutes ses lettres, conservées, étiquetées, enveloppées avec le respect de l’amour le plus pieux. Elle les a emportées, et, au moment d’entrer en Pologne où la police eût impitoyablement lu tout ce qu’elle apportait, elle les a confiées à un de ses amis habitant Mystowitz. » Quelques jours après, il écrivait à George Sand elle-même : « Je suis encore en Silésie, et bien heureux d’y être puisque je vais pouvoir vous être bon à quelque chose. Dans quelques jours je serai en France et vous rapporterai moi-même, que Mme Jedrzeiewicz m’y autorise ou non, les lettres que vous désirez ravoir. Il y a des choses tellement justes qu’elles n’ont besoin de l’autorisation de personne pour se faire. Il est bien entendu que la copie de cette correspondance vous sera remise en même temps... » Ainsi George Sand avait désiré rentrer en possession de ses lettres à Chopin ; elle les brûla, et brûla pareillement les lettres qu’elle avait