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aussi bien chez la femme que chez l’homme, avec seulement cette différence que ce désir de possession est accompagné chez la femme d’un désir d’être dominée, ce qui n’est pas contradictoire ; car on possède quelqu’un très bien par le soin même qu’il met continuellement à vous dominer, et le maître dépend du sujet autant que le sujet dépend du maître, et dominer est une sujétion ; et par conséquent, dans son désir d’être dominée, la femme peut conserver son désir de possession.

Disons aussi, ce qu’il ne me semble pas que Nietzsche ait observé nulle part, et aussi c’est peut-être faux, que les deux sexes s’empruntent mutuellement leurs façons d’aimer. De même que l’homme, qui n’est pas né pour être fidèle, devient fidèle, — quelquefois, — pour imiter la femme et par cette imitation lui faire hommage et par cette imitation l’engager à persister dans ce qui est sa nature à elle, ou tout simplement parce qu’on imite ce qu’on aime et parce qu’on sent que, différence engendrant haine, ressemblance peut entretenir affection ; tout de même, la femme, née pour être possédée, imite l’homme dans son désir de possession, se suggère à elle-même qu’elle doit posséder l’homme, que c’est en cela même que consiste l’amour et elle tue qui ne se laisse pas posséder uniquement par elle, comme il tue qui ne se laisse par posséder uniquement par lui. Toutes les fois que vous entendez dire entre hommes et femmes : « Toutes choses doivent être égales. Si tu as le droit de... j’ai le même droit, » soyez sûr qu’il y a emprunt fait par un sexe de la façon d’aimer de l’autre, ou emprunt fait par un sexe de la façon que l’autre a de n’aimer point ou d’aimer mal. La nature a certainement dit à l’homme :


Possédez-la, seigneur, sans qu’elle vous possède,


et l’habitude, cette seconde nature, et la civilisation, avec ses échanges et ses renversemens de valeurs, ont Uni par dire à la femme :


Possédez-le, madame, autant qu’il vous possède,


et peut-être un peu davantage.

Nietzsche encore a bien connu cette nuance de l’amour que l’on appelle l’amitié amoureuse. C’est l’amitié amoureuse qu’il définit, sans y songer, je crois, quand il parle de la bonne amitié : « L’amitié naît lorsque l’on tient l’autre en grande