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George Sand les obtienne à titre d’emprunt personnel ! Il abusait. Jusque dans le métier de quémandeur, il faut du tact. L’inlassable donatrice se lassait, non de donner, mais d’être si mal remerciée. « J’ai vu Leroux hier soir. Il imprime l’Eclaireur ; il aurait voulu des avances plus considérables que celles qu’on a pu lui faire. Il se plaint un peu de tout le monde et ne veut pas comprendre que sa prétendue persévérance n’inspire de confiance à personne. Il dit qu’on le regarde apparemment comme un malhonnête homme en pensant qu’il peut manquer à sa parole. Que lui répondre ? A qui a-t-on plus donné, plus confié, plus pardonné ? » Le désenchantement était commencé. De l’homme il allait bientôt s’étendre jusqu’à la doctrine. « Cette admirable cervelle a touché, je le crains, la limite que l’humanité peut atteindre. Entre le génie et l’aberration, il n’y a souvent que l’épaisseur d’un cheveu. » Que ne s’en était-elle aperçue plus tôt ? Après le coup d’État de 1851, nous retrouvons Leroux à Jersey occupé à monter une fabrique de cirage, d’encre et de guano. Et nous retrouvons dans ses lettres d’alors les mêmes exposés d’inventions chimériques, et les mêmes appels à de très positives subventions. George Sand mit de l’argent dans le cirage, dans l’encre et dans le guano de Leroux ; mais elle ne mit plus ses idées en romans. Tout compte fait, elle y gagnait. Alexandre Dumas fils, qu’on ne s’étonnera pas de voir citer en cette affaire, disait en parlant d’un de ses confrères, auteur dramatique, qu’on lui opposait : « Je lui ai prêté de l’argent ; il ne me l’a pas rendu, mais il dit du mal de moi. Et voilà ce qu’on appelle un chef d’école ! » Cette boutade résumerait assez exactement l’histoire des rapports de Pierre Leroux et de George Sand.

Aussi bien, c’était toute une séquelle que traînait après soi la romancière « socialiste. » Entre autres excentricités, les années qui précédèrent 1848 virent se produire une éclosion d’ouvrages en vers, — si l’on ose s’exprimer ainsi, — dus à des prolétaires atteints de la manie d’écrire. Les illettrés se découvrirent soudain le génie de la littérature. Il y avait Poncy, maçon, d’autres disent ouvrier en vidanges ; Savinien Lapointe, cordonnier ; Jasmin, coiffeur ; Durand, menuisier ; Rouget, tailleur ; Reboul, le boulanger de Nîmes, et d’autres, et d’autres, et Marie Carpentier, et Antoinette Quarré, couturière ; — déjà ! George Sand, avec cette crédulité qui est une partie de son charme, ne pouvait manquer de saluer ce réveil de la Muse populaire. D’ailleurs, poète par le sentiment et l’imagination, elle était en poésie, comme beaucoup de femmes, totalement étrangère aux questions d’art ou même de métier. M. Rocheblave a publié dans