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tendance à rendra la société tout entière responsable de ses malchances personnelles, enfin un goût pour les potins qui n’épargna pas George Sand elle-même. Wladimir Karénine a lu la correspondance échangée entre Leroux et George Sand. Elle nous en livre son impression. Les lettres de Leroux sont, paraît-il, écrites pour la plupart en un langage extra-nébuleux, ampoulé, fourmillant de comparaisons embrouillées et d’explications vagues. Voilà pour la forme. Et voici pour le fond : Leroux se plaint du sort, des hommes, des circonstances, du travail au-dessus de ses forces, du manque d’argent, du guignon en toutes choses. Les quelques spécimens qu’on nous donne de cette correspondance sont en ce sens très significatifs. George Sand, au rebours, ne cesse de le conseiller, de le consoler — et de l’aider. Pour lui procurer une occupation et des ressources, elle contribue à fonder tantôt la Revue indépendante et tantôt l’Eclaireur de l’Indre. Elle fournit gratuitement de la copie à ses publications. Enfin elle le charge de placer ses romans auprès des éditeurs, afin qu’il puisse toucher une commission. Cela sans préjudice des sommes qu’elle lui prête ou lui fait prêter et qu’on ne reverra pas. Elles seront soi-disant absorbées par une invention, le pianotype. Elles serviront, en réalité à entretenir l’oisiveté famélique de ce paresseux et de toute sa famille.

Les amis de George Sand s’inquiétaient et s’efforçaient de lui ouvrir les yeux. Ch. Veyret, de qui elle avait sollicité un emprunt, envoyait, au lieu de la somme demandée, de précieux avertissemens. Il réduisait à néant les rêves d’inventeur de Leroux et le montrait encouragé par l’imprudente générosité de George Sand dans un genre d’existence où la dignité n’avait plus rien à voir. « Il faut, de toute nécessité, que Pierre n’ait plus à compter sur vous, comme il l’a fait jusqu’à présent, car tant qu’il vous sentira, par suite de votre trop grande bonté, disposée à continuer le passé, il ne fera aucun effort pour secouer cette inertie dont il s’est fait une habitude... » Cette rumeur de désapprobation, dont les échos lui arrivaient, ne troublait pas la sérénité du philosophe. « À ce propos, écrivait-il paisiblement, je vous dirai, chère amie, qu’il ne manque pas en effet de gens qui s’apitoient en ce moment sur vous, ou font semblant de s’apitoyer, à mon occasion, me jetant non seulement le blâme, mais plus que le blâme. Je me réfugie dans ma conscience et dans la vôtre. » Telle est, dans certains cas difficiles, l’utilité d’avoir une conscience... Dans la même lettre, le cynique besogneux s’avise de cet expédient, à la vérité fort pratique : ces mille francs que Veyret lui refuse, que