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Je ne saurais dire à quel point la remarque me paraît judicieuse.

Quand ils devinèrent les rapports de leur mère et de Chopin, cette découverte produisit sur les enfans de George Sand un effet opposé, conforme à leur nature et à leur sexe. Maurice prit pour l’amant de sa mère une antipathie qui se traduisit par des accès de mauvaise humeur, des bouderies, des boutades et des rebuffades ; Solange entra en coquetterie avec lui et lui fit des avances fort peu innocentes. On imagine, sans trop de peine, ce que pouvait être la vie d’intérieur entre personnes dont la situation était ainsi posée. George Sand eut recours à l’unique remède usité en pareil cas : elle se hâta de marier Solange et tint Chopin en dehors des négociations, qui d’ailleurs se réduisirent au strict minimum. Ces mariages bâclés n’ont pas coutume de beaucoup réussir. La cérémonie qui unit Solange avec le sculpteur Clésinger est du 20 mai 1847 ; or, c’est en juillet qu’eurent lieu à Nohant les scènes de famille dont il faut lire le récit sous la plume de George Sand, écrivant à une intime, Mlle de Rozières : « Elles se résument en peu de mots : c’est qu’on a failli s’égorger ici, que mon gendre a levé un marteau sur Maurice, et l’aurait tué peut-être, si je ne m’étais mise entre eux, frappant mon gendre à la figure et recevant de lui un coup de poing dans la poitrine. Si le curé qui se trouvait là, des amis et un domestique, n’étaient intervenus par la force des bras, Maurice, armé d’un pistolet, le tuait sur place, Solange attisant le feu avec une froideur féroce et ayant fait naître ces déplorables fureurs par des ragots, des mensonges, des noirceurs inimaginables. Ce couple diabolique est parti hier soir, criblé de dettes, triomphant dans l’impudence et laissant dans le pays un scandale dont ils ne pourront jamais se relever. Enfin, pendant trois jours j’ai été dans ma maison sous le coup de quelque meurtre. » Quelle famille ! Il est vrai que, cette fois, c’était la famille légitime.

Il fallut mettre Chopin au courant de ces graves événemens. Ce fut un désastre. Il envoya une lettre qui donna le coup de grâce à un amour depuis si longtemps à l’agonie. George Sand y fait allusion dans ces lignes courroucées : « Pendant que je passais six nuits blanches à me tourmenter de sa santé, il était occupé à dire et à penser du mal de moi avec les Clésinger. C’est fort bien. Sa lettre est d’une dignité risible, et les sermons de ce bon père de famille me serviront en effet de leçon... Il y a là-dessous beaucoup de choses que je devine, et je sais de quoi ma fille est capable en fait de calomnie ; je sais de quoi la pauvre cervelle de Chopin est capable