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pas durer. Maurice et Solange avec Chopin, les enfans avec l’amant, unis dans une même tendresse où s’effacent les préjugés, c’est le rêve dans ces sortes d’existences ; mais c’est aussi l’obstacle. Les enfans grandissent, leurs yeux s’ouvrent, leur situation, quand ils en découvrent la fausseté, leur inspire des sentimens qui n’ont rien de commun avec le respect. L’union domestique, la bonne entente, qu’on a tant de peine à réaliser dans la famille sans épithète, devient promptement un leurre dans la « famille illégitime. »

C’est ce qui ne tarda pas à arriver. La présence des enfans gâta l’idylle. Disons-le en passant, il semble bien que ces enfans furent, en un certain sens, les victimes de leur mère. On admire volontiers George Sand pour la puissance de son sentiment maternel ; et il est exact qu’elle eut, à un haut degré, l’instinct de la maternité. Elle adora ses enfans, elle se prodigua pour eux, elle souffrit pour eux : elle fut une mère de beaucoup de bonne volonté. Mais il y a une force des choses, une logique des situations à laquelle on n’échappe pas. Ce n’est pas tout de garder ses enfans auprès de soi : encore faut-il leur rendre la maison habitable. Maurice était l’aîné et le préféré. C’était une nature charmante. Très bien doué, il s’essaya avec succès dans la peinture, dans l’histoire, au théâtre et dans l’entomologie. Mais il ne dépassa jamais la période d’essai : il ne réussit complètement à rien. Le manque de direction, de suite et de règle stérilisa chez lui les dons de l’esprit. La faute est donc, pour une part, à cette éducation éminemment fantaisiste, s’il ne fut, en toutes choses, et suivant l’euphémisme consacré, qu’un amateur très distingué. Pour ce qui est de Solange, c’est au cœur que se fit sentir chez elle ce défaut de discipline morale. Elle avait une intelligence brillante, beaucoup d’esprit et encore plus de méchanceté. Quelqu’un, qui la vit de près et tout enfant, a écrit : « Solange faisait du mal comme on fait de l’art pour l’art, par amour de l’art. » Jalouse de son frère, blessante dans son attitude et dans ses propos à l’égard de sa mère, d’ailleurs malheureuse, comme le sont, — quelquefois, — les égoïstes, ce fut le démon domestique. Pourtant on ne doit pas la juger sévèrement, remarque Wladimir Karénine : « Elle vit autour d’elle beaucoup de choses qu’une jeune fille aurait dû ne jamais voir. Son intelligence innée reçut un large développement, mais, quant à ses instincts, ils ne furent contre-balancés par aucun code moral, et, tandis que son esprit se nourrissait des doctrines et des théories sociales et humanitaires les plus diverses, elle n’apprit jamais à se plier ni à un principe, ni même à une simple exigence de convenance et de dignité. »