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maudire même, il ne veut rien croire ni rien entendre. Aliette survient et Matelinn, après avoir dit son fait à la jeune lépreuse, n’en commet pas moins l’imprudence de laisser son fils avec elle. Voilà des parens plutôt inconsidérés. Ervoanik interroge Aliette, elle nie, et les amoureux s’en vont bras dessus bras dessous, en pèlerinage de fiançailles, au pardon du village voisin.

Ils s’arrêtent (et c’est le second acte), dans la chaumière de la vieille Tilli, lépreuse douairière. Celle-ci, abandonnant les jeunes gens à sa fille, s’est réservé les enfans, qu’elle empoisonne en leur distribuant de pernicieuses friandises. Une haine infernale anime cette mégère contre tout le genre humain. Dans le nouvel amoureux d’Aliette, Tilli voit avec allégresse une victime de plus. Mais la chose, pour cette fois, n’ira pas toute seule. Et c’est ici que se découvre, — imparfaitement, — le caractère d’Aliette. Elle aime Ervoanik et veut l’épouser. Elle l’aime avec passion, avec frénésie, mais avec pureté ; non pour le perdre, mais pour le servir et se dévouer à lui, pour être sa compagne enfin, sans être sa femme. « Quand nous serons mariés, je lui avouerai la vérité, et la vérité ne lui paraîtra plus terrible ; la vérité, nous l’oublierons petit à petit. Je serai sa mère à vingt ans. Je l’embrasserai de loin, dans l’air, tout autour. Et le temps passera toujours, toujours. » Vous trouverez ici d’abord un rappel du vieux thème romantique, le rachat de la pécheresse par l’amour ; ensuite, un calcul, plutôt douteux, de probabilités ou de chances, un mélange enfin, assez confus ou mal débrouillé, de sentimens contraires. Cependant la vieille donneuse de lèpre ne saurait s’accommoder d’un dénouement aussi bénin. Par de mensongers propos elle excite l’orgueil ou la vanité d’Ervoanik, surtout la jalousie et même la fureur d’Aliette. Alors celle-ci, brusquement changée, — un peu brusquement, — présente aux lèvres altérées du jeune homme un gobelet qu’elle vient de toucher et d’infecter de ses lèvres.

Troisième acte. L’effet de la libation ne s’est pas fait attendre. Ervoanik est atteint de la lèpre à son tour. Gémissant, au milieu de ses parens et de ses voisins en pleurs, il attend l’horrible sort que, suivant la légende, ou l’histoire, le moyen âge infligeait à ses pareils. Aux sons des cloches, au chant de l’office des trépassés, les prêtres, les religieux viennent en procession chercher le mort vivant pour le conduire à la maison blanche et solitaire qui sera sa prison et son tombeau. Mais vous avez déjà deviné qu’Aliette ne saurait manquer de reparaître ; elle reparaît en effet, prend Ervoanik par la main et va s’enfermer avec lui, pour toujours.