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Il est assez obscur, ce personnage d’Aliette. Avec des côtés odieux, il en a de quasi mystiques. Et la pièce elle-même est inégale : par où j’entends du moins que les personnages, les lépreux, y sont inégalement traités. On comprend mal qu’Ervoanik, lépreux de la veille et non déclaré encore, soit l’objet, et si tôt, de telles rigueurs, alors que deux lépreuses connues et reconnues, Aliette et sa mère, peuvent se livrer impunément à leur funeste propagande. Enfin autour de ce sujet flotte une atmosphère pestilentielle qu’on ne respire pas toujours sans quelque répugnance. Mais par momens il arrive aussi qu’au dégoût physique se mêle un sentiment, qui le corrige et le relève, d’horreur mystérieuse et presque sacrée.

Sur cet insalubre poème, le musicien a fait une musique saine, je veux dire bien constituée, ou conformée, ou construite, et par là toute contraire à telle autre musique, invertébrée et amorphe, qui ne se tient ni ne se soutient, et que trop de musiciens nous servent aujourd’hui. L’œuvre est de nature wagnérienne, soumise par conséquent au principe du leitmotif. Et nous constations l’autre jour, parlant de Bérénice, que ce système commence à nous peser. Félicitons-nous au moins d’en rencontrer ici plus et mieux que l’armature extérieure ou le mécanisme seulement. Dans la musique de M. Lazzari, les idées ont cet avantage inestimable et vraiment primordial, qu’elles existent. Non pas que les thèmes populaires bretons rappelés et traités par endroits aient paru des mieux choisis. Sur place, ou dans certains recueils même (tel celui de Bourgault-Ducoudray), on en eût trouvé de plus originaux. Mais l’imagination personnelle de M. Lazzari, son imagination mélodique, est loin d’être stérile ou banale. Plusieurs « motifs » de la Lépreuse encore une fois possèdent une vie, une réalité propre. En un mot, ils sont. Alors même que peu de chose les constitue, ce peu suffit à leur être. Si l’on recherchait dans Bérénice tel motif par nous cité, comme celui de Mucien, le raisonneur militaire, et qu’on le comparât avec le motif du fermier Matelinn, le père d’Ervoanik, on verrait aussitôt de quel côté, dans laquelle des deux formes sonores, analogues autant qu’inégales, se trouve le plus de sens, de caractère et d’autorité. Le « thème de la lèpre » ne consiste exactement qu’en quatre notes, et dont les trois premières, — sachez-le, si vous êtes curieux de ces choses, — dont les trois premières n’en sont qu’une, la tonique, répétée en un triolet qui monte et porte, ou frappe, sur la dominante. A vrai dire il ne fallait pas davantage à Beethoven. Rappelez-vous l’attaque de la symphonie en ut mineur (sol, sol, sol, mi). Que dis-je ? Beethoven se contentait de moins encore. Il tirait