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toute chose de rien, ou de presque rien. Un soir du mois passé, nous écoutions le septième quatuor, admirablement joué par M. Lucien Capet et ses compagnons. Et dès les premières mesures du scherzo, certaine question d’Henri Heine nous revenait à la mémoire : « Madame, » demandait-il en riant, à son ordinaire, « avez-vous l’idée d’une idée ? » Ce que peut être une idée musicale, et de Beethoven, là encore, une seule note, répétée un certain nombre de fois, suivant un certain rythme, suffit à nous l’apprendre, ou à nous le rappeler.

Ainsi les principaux motifs de la Lépreuse ont d’abord une valeur spécifique, une signification personnelle. Si plus tard il est assez rare qu’ils se développent, il arrive au contraire, et souvent, qu’ils se transforment, qu’ils se mêlent, qu’ils se combinent, soit pour se fortifier les uns les autres, soit, — et l’alternative dépend des situations, des péripéties dramatiques, — pour se contredire et se combattre. On citerait, au cours de l’ouvrage, maint exemple de cette alliance heureuse, étroite, où l’effet individuel s’accroît d’un effet en quelque sorte réciproque, où l’intérêt, qui provenait d’un élément unique, résulte du concours ou du conflit des élémens.

Ce n’est pas tout, et l’œuvre de M. Lazzari, wagnérienne par l’esprit, lest encore çà et là par la lettre, je veux dire par un rappel précis, par le furtif passage d’un souvenir ou d’un écho sonore. Au premier acte, les bruits de la campagne qui s’éveille ressemblent aux w murmures de la forêt » et, sous le toit d’ardoises de la ferme bretonne, on croirait que l’oiseau de Siegfried a niché. Quelques instans après, sur les premières paroles d’Ervoanik, sur le salut filial du jeune homme à ses parens, il nous parut qu’une trompette (si nous avons bonne mémoire) jetait comme un reflet brillant, héroïque, du thème de l’épée, de la Walkyrie.

La partition de la Lépreuse offre encore d’autres signes de santé. Par exemple, l’équilibre y est à peu près stable entre le chant et l’orchestre, entre les mots et les sons, autant d’élémens que nos contemporains se plaisent à dissocier. Il arrive mainte fois ici que l’intonation, que la note convienne à la parole, et lui ressemble, et l’exprime, que la voix chante et qu’en même temps elle parle, respectant ainsi les droits de la musique et ceux de la déclamation. Le second acte en particulier se recommande par une qualité, qui, dans l’ordre musical même, n’est pas à dédaigner ; la ponctuation. Vous le savez, rien n’est rare en musique aujourd’hui comme les points, les points de suspension, d’arrêt, de repos ; les points indiquant, imposant, pour quelques secondes au moins, la rupture de la soi-disant