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sa femme, qui s’inquiète, « écoutez, ne m’effrayez plus, car je sens trop qu’il y aura de la douleur ici, s’il y en a quelque part au monde. » Mais que faisons-nous, sinon céder, comme d’habitude, à l’éternelle duperie de la critique musicale ! Nous citons des paroles, et ce qu’il faudrait, et ce qu’hélas ! il est impossible de transcrire, ce sont des rythmes, ce sont des harmonies, quatre ou cinq mesures à peine, où la musique a su renfermer, dans un de ces raccourcis où elle excelle, l’infini d’un sentiment et d’un cœur. Mais cette musique encore une fois ne se borne pas à des raccourcis : elle s’étend, quand il le faut, et se dilate. Ni dans le premier ni dans le second acte, les détails ne hachent l’ensemble ni ne l’émiettent. Le second acte surtout, loin de s’éparpiller, se concentre. Dramatique et musical en même temps, il l’est tout entier ; il l’est avec force, avec ampleur, avec une certaine tendresse aussi. Non : chez Aliette du moins, avec une tendresse incertaine, avec une passion mêlée d’amour et par momens presque de haine. Le personnage, nous le disions tout à l’heure, est assez obscur en paroles, en action même ; la musique l’éclaire, et par les sons il nous est plus intelligible, surtout plus sensible que par les mots. La musique néanmoins se garde bien de le dépouiller de son mystère sombre. Au contraire, elle fait celui-ci plus étrange et plus profond. Elle accroît, elle développe l’idée, le sentiment, que renferme le poème, et que la musique seule a le don de répandre en quelque sorte à l’infini, d’une puissance fatale et d’une vague horreur. Dans le taudis de la vieille, dans l’atmosphère où flottent des atomes de mort, l’impure amante berce d’une cantilène sinistre Ervoanik endormi. Et sa berceuse nous en rappelle une autre, non plus amoureuse, mais quasi paternelle : celle du Méphistophélès de Berlioz, ainsi penché sur le sommeil de celui qu’il va perdre, et qu’il enveloppe, qu’il couve en quelque sorte d’un regard et d’un chant également chargés de funeste tendresse. Il n’appartient pas à tous les musiciens de provoquer, non par la musique même, laquelle n’a rien de commun avec celle de Berlioz, mais par le sentiment, et cela vaut mieux, une aussi flatteuse réminiscence.

L’interprétation de la Lépreuse est bonne, M. Beyle a, dans le rôle d’Ervoanik, un air de jeunesse et de naïveté, de mysticisme dolent et, lorsqu’il le faut, exalté, qui sied au personnage. M. Vieuille (Matelinn le fermier) est sûrement l’une de nos basses les plus autorisées et les plus autoritaires. La vieille lépreuse, c’est Mme Delna, qui n’a rien épargné pour se faire horrible à voir. Mme Carré tout au contraire, en lépreuse jeune, enchanta même nos regards. Quand elle