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Je ne m’arrêterai pas à énumérer ici les innombrables livres, brochures, articles de revues ou de journaux qui, depuis le début de l’année, ont surgi de divers coins de la terre polonaise, ayant pour objet de nous révéler des documens inédits sur la personne et l’œuvre du poète, ou encore d’étudier son génie et l’importance de son rôle historique[1]. Symptôme bien autrement significatif : j’ai eu la surprise de constater que, dans un pays où les divisions intérieures ont toujours été très profondes, tous les partis se sont trouvés d’accord pour maintenir décidément l’ « aristocrate » catholique qu’a été Krasinski au rang où l’avaient promu les générations précédentes, — à côté, mais non pas au-dessous de Mickiewicz et de Slowacki. Il y a eu là, pour la gloire poétique de l’auteur d’Iridion, une sorte d’épreuve dont il est incontestablement sorti victorieux, malgré tous les motifs que l’on pouvait avoir d’en redouter l’issue pour un écrivain tel que celui-là : obstinément attaché aux traditions du passé, et certes le plus dédaigneux qui fut jamais de toutes les formes de la popularité personnelle, — puisque, comme l’on sait, pas une ligne de ses écrits n’a été, de son vivant, publiée sous son nom. Ce nom, divulgué seulement après la mort de Krasinski, semble désormais assuré de vivre toujours, dans les cœurs polonais, en compagnie de ceux des deux autres grands poètes de la période romantique, tout de même que sont à jamais accouplés, chez nous, les noms des deux maîtres de la littérature française au XVIIIe siècle. Et je ne dirai pas que la gloire du plus jeune des trois poètes polonais tende à dépasser un jour celle de ses deux aînés : mais ce n’est pas sans quelque surprise que je l’ai vue, pour ainsi dire, « évoluer » et se revêtir d’une signification nouvelle, de manière à mieux satisfaire les aspirations nouvelles des âmes de notre temps. Tandis que les mérites de Mickiewicz et de Slowacki continuaient d’apparaitre aujourd’hui à peu près tels qu’on les admirait voilà un demi-siècle, j’ai cru apercevoir que l’œuvre de Krasinski subissait insensiblement un travail mystérieux d’ « adaptation » et de « remise au point, « — séduisant désormais les compatriotes du poète par des qualités assez différentes de celles qui, autrefois, lui avaient valu sa célébrité.


Les causes et le caractère de cette évolution sont, malheureusement

  1. Il faut cependant que je signale, au premier rang de ces publications nouvelles, une très savante et éloquente biographie de Sigismond Krasinski par le comte Stanislas Tarnowski (2 vol. in-8 ; Cracovie, librairie de l’Académie des Sciences, 1912).