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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/125

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Du côté de Mahomet, du moins parmi les populations qui n’ont pas vécu longtemps dans le voisinage du chrétien, il est assez couramment admis que les infidèles sont impurs, au sens rituel du mot, et qu’il faut éviter de les toucher. Dans les pays de stricte observance, on ne peut employer à leur égard les formules de politesse qui sont réservées aux vrais croyans, leur donner le véritable « salut, » le souhait de l’éternelle paix. Il y a des paroles de bienvenue et de bénédiction qui sont réservées aux non-musulmans, mais le vulgaire les ignore et se tait. Si le langage populaire ne sait comment les honorer, il n’est pas embarrassé pour les maltraiter : chose digne de remarque, les appellations qu’on donne aux Européens ont fréquemment trait à leur grossièreté, ce sont les chacals, les aledj (ânes sauvages). On ne peut s’en étonner beaucoup : à ces croyans dont l’attitude est soutenue et minutieusement réglée par la tradition religieuse, et qui, fussent-ils de la plus basse extraction, savent de par leur foi, leur orgueil et leur placidité se tenir et parler devant Dieu et devant les hommes, la familiarité du Français de nos jours, son allure libre et pressée apparaissent comme le fait de gens mal appris ; aussi bien la qualité des Latins qui forment le fond de la population coloniale ne leur donne que trop raison, et davantage le sentiment de la prééminence européenne peut porter un esprit simple à la brutalité, du moins verbale. Ce n’est pas à dire que nos sujets se laissent volontiers rudoyer. Quiconque, après avoir vu les écœurantes manifestations de supériorité auxquelles se livrent les touristes, à coups de courbache ou d’ombrelle, sur le dos des fellahs d’Egypte, aura été à même d’observer l’attitude des indigènes d’Algérie vis-à-vis des étrangers, pourra apprécier la différence des deux fibres.

Les sentimens de nos colons vis-à-vis de l’Arabe ou du Kabyle procèdent à la fois de la bonhomie, de l’inquiétude et d’un mépris pour leurs mœurs et leurs usages, égal à celui que les gens du Prophète ont pour les leurs ? :

Certes, il ne faut pas attacher trop d’importance aux diatribes dont les cafés d’Algérie retentissent à l’adresse des indigènes ; ceux qui en médisent le plus ont peut-être parmi eux des amis et des auxiliaires précieux. Après s’être répandus en plaintes sur la complaisance des hautes autorités à l’égard du peuple conquis, en anecdotes sur la perfidie de vieux serviteurs