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A plus forte raison ne croirons-nous pas que les sociétés de prévoyance puissent, comme on l’a affirmé récemment, servir à l’accaparement des terres par quelques riches musulmans. Il est bon cependant de se méfier de tout prêt important demandé par un sociétaire notable ou puissant et de ne consentir que rarement, à qui que ce soit, une avance dépassant quatre ou cinq cents francs. Surtout, il faut condamner tout renouvellement qui peut faciliter l’emploi abusif des fonds de la Société. Il ne faut jamais perdre de vue que l’argent du « silo des pauvres, » comme disent les indigènes, est versé par des pauvres, et destiné aux plus laborieux et aux plus besogneux.

Plus douteux est de savoir s’il vaut mieux encaisser et prêter en numéraire ou en nature : le premier procédé simplifie beaucoup la tâche de l’administration, qui se débarrasse ainsi de la surveillance et de l’entretien des silos ; mais le second, comme tous les moyens primitifs, a l’avantage de s’adapter beaucoup mieux aux conditions du milieu et de la race. L’indigène qui emprunte deux quintaux de blé pour ensemencer est beaucoup moins tenté d’en faire mauvais emploi que s’il touche huit beaux écus pour le même usage ; le caïd, si leste à glisser dans son burnous le douro prélevé sur la somme prêtée, sera fort en peine d’escamoter un double décalitre. D’autre part, le prix des céréales étant au plus bas au moment de la moisson, la Société, qui encaisse alors les cotisations en nature, peut recevoir davantage sous cette forme qu’elle n’aurait fait en argent, de même qu’à l’époque des semailles, qui est le temps de la hausse, elle peut consentir des prêts de grains d’une valeur supérieure à ceux qu’elle aurait faits en numéraire. En outre, la constitution de réserves, en des régions mal accessibles, bride un peu la spéculation en temps de disette, et met les secours à la portée des besoins, dans un pays où l’insuffisance des communications et de l’organisation commerciale donne trop beau jeu aux intermédiaires.

Tant de raisons devraient triompher de la paresse des uns et des hésitations de quelques autres, auxquels les méthodes du patriarche Joseph semblent surannées, dans un état social qui n’a cependant guère varié depuis l’époque des Pharaons ; il faut que toutes les régions productrices de céréales imitent l’exemple de l’Oranie, et se pourvoient de bons silos, maçonnés et cadenassés, à l’abri des fureteurs et des charançons. Ce progrès