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Seulement pareil essai de libération de la propriété indigène ne saurait évidemment être tenté sans une première et assez forte mise de fonds ; or, jusqu’ici, tout l’effort de la colonie dans cet ordre de choses s’est porté, et non sans succès, vers l’organisation du crédit agricole proprement dit, fondé non plus sur les garanties immobilières, mais sur les capacités de travail et de succès des individus.


IV

On n’a pas besoin de rappeler les difficultés que présente en tous lieux le problème du crédit aux gens de la terre : durée et simultanéité des opérations culturales qui immobilise durant six à neuf mois les capitaux du préteur, tandis que l’escompte commercial, chez nous du moins, se règle à trois mois au plus ; danger des crises qui peuvent s’étendre à de vastes contrées et qui déjouent toutes prévisions ; difficulté de surveiller les affaires d’une clientèle disséminée sur un territoire trop étendu ; tempérament de l’homme des champs qui, selon les races, est trop prudent pour emprunter ou trop insouciant pour s’acquitter.

Nulle part, les agriculteurs n’ont pu vaincre la répugnance des grands manieurs d’argent à se risquer en ces entreprises, réservées de tout temps à l’âpreté minutieuse du petit capitaliste villageois. L’exemple unique de l’Ecosse montre que les banques, et surtout celles qui ont la faculté d’émettre des billets-monnaie, ne peuvent seconder le progrès agricole qu’à la condition d’avoir un rayon d’action très limité, de vivre tout près du cultivateur, en collaboration étroite et constante avec lui. « C’est sous la puissante influence de ces banques que l’Ecosse a changé d’aspect, presque de forme, et que sa terre, pétrie et manufacturée en quelque sorte, est devenue l’une des plus fertiles et des mieux cultivées de l’univers[1]. » On ne peut évidemment attendre d’aussi merveilleux résultats des grandes banques d’Etat ou dépendant de l’Etat qui participent aux énormes risques de sa fortune et dont l’organisation centralisée ne se prête en aucune façon aux tractations patientes et méticuleuses

  1. Courcelle-Seneuil, Traité des opérations de banque, p. 336.