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Déduction faite des garnisons qu’il dut laisser à Montevideo et Maldonado, il avait encore 8 000 hommes avec lesquels il partit de la Colonia pour débarquer sans grande difficulté à l’Ensenada, le 28 juin 1807, et de là se mit en marche vers la ville : les quelques officiers qui, comme Pack, avaient fait partie de la première expédition, purent penser que la promenade militaire recommençait.

Au lendemain de la capitulation de Beresford, l’Audience et le Cabildo, à peine remis en fonctions, tentèrent de rétablir l’autorité suprême en rappelant de Cordoba le vice-roi fugitif. Mais tout à coup, le « peuple, » entité nouvelle qui entrait en scène pour n’en plus sortir, envahit le vénérable Hôtel de Ville, proclamant la déchéance de Sobremonte et demandant que Liniers lui fût substitué. Il va sans dire que le Conseil n’avait pas qualité pour prendre l’une ou l’autre mesure. Mais en fait, Sobremonte demeura effacé, à Cordoba ou à Montevideo, jusqu’à son départ pour l’Espagne, tandis que le Reconquistador s’installait au Palais des vice-rois. Liniers, outre son glorieux surnom populaire, était alors qualifié officiellement tantôt de « capitaine général, » tantôt de « gouverneur de Buenos-Ayres. » Servie par un pouvoir absolu, son infatigable activité militaire, durant l’année comprise entre la Reconquête et la « Défense » (ainsi qu’on désigne dans l’histoire argentine la campagne de juillet 1807), accomplit des prodiges.

On savait, et l’occupation de Montevideo vint bientôt le confirmer, le gouvernement anglais résolu à recouvrer Buenos-Ayres par la force : ce fut sous cette obsession incessante que le chef gouverna, sous cette préoccupation virile que le peuple obéit. Créoles et Espagnols, portenos et provinciaux, riches et pauvres, jeunes et vieux, acceptèrent sans murmurer l’incorporation dans un bataillon civique, les exercices journaliers, les manœuvres, la discipline, les corvées, toutes les dures impositions de la milice, aggravées, chez la plupart, par le besoin de se suffire, alors que le commerce chômait, les impôts rentraient mal et les caisses pillées par Popham ne se refaisaient pas. Beaucoup devaient se pourvoir d’uniforme, de fourniment ; le cavalier amenait son cheval, l’officier riche défrayait de viande et de hierba sa compagnie.

L’ardeur des Buenos-Ayriens surtout fut admirable : de leurs milices urbaines sortirent, officiers et soldats, les futurs guerriers