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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/162

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V

Parmi les contre-coups lointains de la déroute anglaise et du triomphe de Liniers, il n’en est pas de plus étrange que le suivant où l’on voit, par l’entrée en scène de Napoléon, s’accuser avec un relief saisissant le contraste douloureux de cette destinée d’un Français gouvernant une vice-royauté espagnole, à l’heure même où un fleuve de sang et une barrière de haine vont séparer les deux pays.

Au lendemain de la Défense, après ses rapports officiels au gouvernement de Madrid et au prince de la Paix, Liniers n’avait pas voulu perdre cette occasion d’en faire hommage à celui qui personnifiait tous les triomphes de la guerre. Il avait écrit à Napoléon une lettre débordante d’enthousiasme militaire, mais au fond très politique, que devait lui remettre son aide de camp et futur gendre Périchon de Vandeul. La démarche ne provenait pas seulement d’un élan d’admiration, fort naturel chez un soldat français ; elle tenait compte aussi du véritable protectorat que le maître de l’Europe exerçait sur l’Espagne, et qu’avec un peu de sagesse, il aurait pu rendre utile et durable. La lettre fut si peu secrète que la rédaction en fut soumise à l’Audience et au Cabildo, qui l’approuvèrent. Jusqu’en janvier 1808, Périchon ne fut pas reçu par l’Empereur ; mais, grâce à son parent Carroyon de Vandeul (le propre petit-fils de Diderot), chargé d’affaires à Madrid, il avait mis sous les yeux du maitre la lettre de Liniers, qui semble l’avoir frappé. Avec sa promptitude habituelle, il chargea Decrès, ministre de la Marine, de lui découvrir quelqu’un qui pût le renseigner sur la Plata. Le capitaine de vaisseau Jurien de la Gravière se présenta qui, après avoir rédigé un mémoire, sur le sujet, reçut l’ordre d’effectuer, sur la frégate Créole, une exploration politique du pays.

Mais les événemens espagnols se précipitèrent et, en mai 1808, après le funeste guet-apens de Bayonne, il s’agissait bien moins d’étudier ces provinces que de provoquer leur annexion pacifique à l’Empire. Il fallait, pour préparer le terrain, un agent plus souple et moins compromettant qu’un officier supérieur monté sur son vaisseau de guerre. Maret proposa le marquis de Sassenay,