Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est-à-dire à peu près la durée d’une génération, nous trouvons un autre exemple, non moins saisissant, de la rapidité avec laquelle une campagne bouleverse la situation des deux adversaires, élève le crédit du vainqueur et abaisse celui du vaincu. En février 1904, quand éclata le coup de tonnerre de Port-Arthur, que l’escadre japonaise, sans déclaration de guerre préalable, pénétra audacieusement dans la rade chinoise et détruisit une partie de la flotte russe mouillée dans ses eaux, il semblait qu’il n’y eût aucune comparaison à faire entre les ressources financières et la puissance économique des deux Empires qui en venaient aux mains. Les fonds moscovites, classés en majeure partie dans les portefeuilles français, avaient une clientèle assurée, dont les inépuisables ressources semblaient garantir l’écoulement facile des emprunts futurs et le maintien des cours élevés auxquels les divers types de rentes étaient alors cotés. Malgré les rumeurs inquiétantes qui circulaient depuis la fin de 1903 et qui avaient déjà causé un certain recul des cours, le 4 pour 100 s’inscrivait encore à 99, le 3 et demi à 96, le 3 pour 100 à 85. Plusieurs des anciens fonds 5 et 4 et demi pour 100 avaient disparu, grâce à des conversions successives qui avaient notablement réduit la charge du service annuel des emprunts, ou, ce qui revenait au même, permis au Gouvernement de se procurer de nouveaux capitaux sans augmenter l’annuité servie à l’ensemble de ses créanciers. La Banque de Russie, réorganisée, avait reçu du Trésor le remboursement de l’énorme dette contractée vis-à-vis d’elle depuis l’insurrection polonaise et la guerre d’Orient, et possédait une encaisse très supérieure au chiffre de ses billets émis[1] ; l’étalon d’or, établi après une longue suite d’efforts persévérans des éminens ministres Wyschnegradski et Witte, régnait sans conteste ; le métal jaune abondait, non seulement dans les caves de l’institut d’émission, mais dans la circulation, où le public prenait peu à peu l’habitude de s’en servir, à la place du papier que plusieurs générations avaient seul connu comme instrument des échanges. Les disponibilités du Trésor, c’est-à-dire l’excédent des ressources en caisse par rapport aux exigibilités, s’élevaient à 319 millions de roubles, soit 850 millions de francs. Le marché français, qui depuis quinze ans avait ouvert ses portes à deux battans aux fonds

  1. Voyez notre article sur les Finances de guerre : Russie et Japon, dans la Revue du 1er juillet 1904.