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VI

Jules Simon[1] a dit : « Non seulement les ministres, non seulement la majorité du Corps législatif, mais nous-mêmes, membres de l’Opposition, nous regardions notre armée comme la première du monde. Je désire n’être pas taxé de témérité si j’ajoute que, même après nos malheurs, je n’ai pas changé d’avis[2]. »

On a l’habitude de représenter Stoffel comme étant le seul militaire qui n’ait pas partagé cette confiance. Or voici ce que raconte à ce sujet Faverot de Kerbrech : « Le 16 juillet, j’allai au salon de service, où je trouvai le colonel Stoffel. Il était arrivé à Paris à cinq heures du matin, et venu directement à Saint-Cloud. Il mangeait un œuf sur le plat avant d’entrer chez l’Empereur, qui terminait sa toilette : — « Eh bien ! Stoffel, lui dit devant moi le général Bourbaki, aide de camp de service, il est trop tard maintenant pour nous bercer d’illusions ; dites-nous carrément, là entre nous, qui va recevoir la pile ? — Mais, dit le colonel, je n’éprouve aucune hésitation à vous répondre, mon général. Je crois fermement que la France finira par avoir le dessus. Seulement, ne vous figurez pas que ce sera facile. La Prusse est remarquablement préparée. La lutte sera longue et meurtrière[3]. »

Forbach et Wœrth, le même jour, voilà quel fut cependant le début d’une guerre que la nation s’était promise triomphante. Les deux batailles, amenées par le hasard, avaient été défensives de notre côté, avec cette différence qu’à Wœrth, c’est un général au tempérament offensif qui commande ; il est écrasé par le nombre, mais vaincu, il reste glorieux. A Forbach, le chef autrefois audacieux dans sa spécialité, glacé par une responsabilité

  1. Il n’est pas un seul des récits, surtout de ceux qui se disent bien informés, qui ne soit, sur ces journées du 6 au 9 août, un mélange d’incohérences, de faussetés, de contradictions. Les faits certains y sont ou mal placés ou mal commentés. A tout instant, des inventions ridicules ou odieuses, et surtout une niaiserie déconcertante. Il faudrait un volume pour réfuter tout ce fatras, et ce serait donner de l’importance à des œuvres qui n’en méritent pas. Je me contenterai, uniquement à titre d’exemple, de relever quelques-unes des sottises qu’on raconte, non pour qu’on pense que celles que je ne relève pas sont vraies, mais uniquement pour qu’on juge le peu de sérieux de celles sur lesquelles je ne prends pas la peine de m’expliquer.
  2. Jules Simon, Origine et chute du second Empire, p. 211.
  3. Faverot de Kerbrech, La guerre contre l’Allemagne, p. 15 et 16.