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Puis vint la Révolution. La Royauté, jusque-là symbole vivant de l’unité et de l’inviolabilité de la patrie, appela elle-même l’invasion, préférant la loi de l’étranger à celle de son peuple. La noblesse française vint accroître les armées de la Coalition et ceux qui n’étaient pas dans ses rangs raccompagnaient de leurs sympathies. « Je ne puis jamais me rappeler sans honte, écrit la comtesse de Boigne, les vœux antinationaux que nous formions et la coupable joie avec laquelle l’esprit de parti nous faisait accueillir les revers de nos armées[1]. » Les mécontens, les corrompus du nouveau régime, les Dumouriez, Pichegru, Moreau, deviennent les conseils des généraux ennemis ; Talleyrand appelle les souverains étrangers, ouvre son salon maudit de la rue Saint-Florentin à leurs délibérations, et les amène à renverser le Maitre qu’il avait tant exploité et qu’il vendait depuis Erfürth. Alors une notion nouvelle s’empara des esprits : c’est qu’il pouvait être un intérêt supérieur à celui de la Patrie, et qu’avant d’être patriote, on devait être homme de parti, dût-on, pour satisfaire ce parti, se faire le collaborateur des victoires ennemies.

Or le patriotisme consiste à ne mettre aucun sentiment, aucune pensée, aucun intérêt politique, religieux ou social au-dessus de la Patrie : dès qu’on lui préfère quoi que ce soit, on n’est plus patriote. C’est pourquoi est si profonde la vue de Faguet que le patriotisme ne peut exister que là où règne la liberté, parce que ce n’est que là que chacun peut trouver la garantie de ses opinions, de ses idées et de sa foi, et dès lors n’a plus aucune raison de préférer quoi que ce soit à la Patrie.

Qui plus que notre patrie était digne de cet amour ? Qu’elle est toujours belle et charmante, loyale et généreuse, notre chère France ! Ou elle conquiert l’admiration par les exploits de son épée libératrice, ou elle illumine par la splendeur de sa pensée, ou elle charme par la grâce légère de son art, et toujours elle tient la coupe de consolation d’où se répand la joie. Mais il est des Français, enfans ingrats, qui ont placé quelque chose au-dessus d’elle et lui ont préféré les passions, les intérêts, les convoitises, les haines, les colères de leur parti. De là est né le partiotisme : qu’on me permette de créer ce mot.

Ce nouveau dogme politique s’étendit si promptement qu’on

  1. Madame de Boigne, t. I, p. 291.