Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit-il, représente tout ce que nous devons défendre ; soyons avec lui ! S’il nous trompe, nous le pendrons après. » Le brave général Lecourbe, quoique ami de Moreau, les anciens conventionnels, tous les républicains de l’Assemblée se rangèrent derrière eux. Benjamin Constant, malgré sa déférence envers Lafayette, suivit l’exemple de Carnot, de Sieyès et de Lecourbe. « Il était évident pour tout esprit juste, dit-il, qu’abandonner Bonaparte au milieu de l’orage, c’était livrer le territoire à l’invasion étrangère[1]. »

Napoléon nous a dit ce qui serait arrivé si la Chambre des Représentans, avait écouté Carnot : « La position de la France était critique mais non désespérée... Tout pouvait se réparer ; mais il fallait du caractère, de l’énergie, de la fermeté de la part des officiers, du gouvernement, des Chambres, de la nation tout entière. Si la France s’élevait à cette hauteur, elle était invincible ; son peuple contenait plus d’élémens militaires qu’aucun autre peuple du monde. »

L’opinion de Lafayette prévalut : « Saisis d’une étrange pré- occupation, ils (les amis de la liberté) s’attachèrent à compléter la ruine d’un homme quand il fallait sauver l’Etat menacé. Les passions ont un merveilleux penchant à croire ce qui les flatte : on s’obstina, malgré les nombreux exemples inscrits dans les annales de tous les peuples, à penser que la guerre cesserait à l’instant où la France aurait abjuré son chef ; et, pour emprunter l’expression énergique d’un écrivain célèbre, tandis que la tempête battait le vaisseau, on jeta le gouvernail à la mer, et on l’offrit en sacrifice aux flots irrités[2]. » Les royalistes firent mieux. De par l’ordre du Roi, des officiers s’engagèrent dans l’armée de l’Usurpateur, avec la mission de faciliter le succès de l’ennemi en provoquant la panique au moment critique.

Les faits nous ont appris les résultats de cette conduite. Après qu’ils se furent débarrassés de Napoléon, les Coalisés traitèrent la France aussi durement que si elle l’avait conservé à sa tète, et nous montrèrent qu’ils s’étaient moqués de nous. Nous fûmes occupés, démembrés, réduits au rôle de puissance de second ordre, dans lequel nous avons végété, jusqu’à ce que Napoléon III déchirât les traités de 1815 et nous replaçât par le Traité de Paris au premier rang des nations de l’Europe.

  1. Benj. Constant, les Cent-jours, 2e partie, IIIe note, p. 129-130.
  2. Ibid., p. 203-204.