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les définir et les juger à la façon de M. Wells, en se bornant, en des notations d’une ironie tacite, à en saisir au passage les brèves expressions dont le sens peut échapper, si l’on n’a pas déjà l’expérience de cette humanité si spéciale. Ces personnages, qu’il nous laisse à reconnaître, M. Galsworthy les choisit dans la portion la plus anglaise de l’Angleterre, dans cette puissante classe dirigeante dont les hommes, plus accessibles que le menu peuple besogneux aux influences déterminantes de la culture nationale, en incarnent les idées, et les entretiennent par leurs mutuelles suggestions. De cette classe, qui a si longtemps composé la substance active de la nation, décidé sa figure et son caractère distincts, de cette Angleterre essentielle, de ses catégories et de ses types divers, — nobles, hommes politiques, squires, prêtres de l’Eglise anglicane, intellectuels, universitaires, grands bourgeois et grands marchands, — des consignes, coutumes et préjugés de caste qui façonnent leurs âmes et leurs physionomies, les romans de M. Galsworthy composent l’étude la plus méthodique et pénétrante, d’autant plus suggestive que, toujours, au factice, au conventionnel, à l’insulaire des principes de la vie anglaise, secrètement il oppose les grandes nécessités éternelles de la vie, celles qui font de l’homme la chose partout pareille de la Nature : la Faim, l’Amour, la Mort[1].


Il est philosophe et poète, mystiquement poète, ce qui ne l’empêche pas d’être le plus précis et le plus systématique des réalistes. En écrivant ce dernier mot, je ne songe pas à le cataloguer dans une école ; je ne pense pas à la manière, mais à l’objet de son art que commande son point de vue naturel. C’est celui de tous les grands artistes, que sollicite le besoin de saisir et traduire la réalité complète, non seulement celle que perçoivent les yeux ordinaires, mais l’intérieure, la profonde, dont le mystère les hante, la force ou l’idée qu’ils pressentent sous les apparences d’un être ou d’une chose, et qu’ils tâchent à nous révéler dans leur interprétation des apparences. Et quand il s’agit de l’homme, c’est l’âme qui les intéresse principalement,

  1. Les romans de M. Galsworthy sont : The Island Pharisees (1904) ; The Man of Property (1905) ; The Country-House (1907) ; Fraternity (1908) ; The Patrician (1911). Il a publié, en outre, trois recueils de nouvelles et six pièces de théâtre.