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non derrière lui sur des renforts amis, mais latéralement sur les troupes ennemies ?

Il serait donc absurde de soutenir qu’il a abandonné Frossard, mais on l’incrimine encore de ne s’être pas rendu de sa personne auprès de lui à Forbach. Des paroles sévères de Napoléon Ier semblent justifier ce reproche : « Comment, écrit-il au maréchal Victor commandant du Ier corps de l’armée d’Espagne, comment, au lieu de vous porter en personne à la tête de vos troupes, secourir une de vos divisions, avez-vous laissé cette opération importante à un général de brigade qui n’avait avec lui que le tiers de vos forces ? — Vous savez que le premier principe de la guerre veut que, dans le doute du succès, on se porte au secours d’un de ses corps attaqués, puisque de là peut dépendre son salut. » L’autorité de cette règle du grand capitaine doit être limitée aux cas analogues à celui qui l’a motivée. De qui s’agit-il. ? Du chef du 1er corps de l’armée d’Espagne, ayant sous ses ordres plusieurs divisions et laissant écraser l’une d’elles sans intervenir de sa personne. Si Bazaine n’avait été qu’un chef de corps d’armée et Frossard un de ses divisionnaires en péril, il eut été répréhensible de n’être point allé personnellement l’assister. Mais autre était leur situation. Frossard était un chef de corps ayant sous ses ordres trois divisions et Bazaine un chef d’armée ayant sous son commandement trois corps d’armée disséminés sur un large espace. Et Frossard, avec ses trois divisions contre une prussienne, ne fut en péril ni dans la première partie de la journée, où il luttait presque trois contre un, ni à la fin, puisqu’il n’avait qu’à attendre ses renforts en marche vers lui de tous les côtés, et que sa retraite ne fut pas un instant inquiétée.

A aucun moment, la présence de Bazaine auprès de Frossard n’aurait pu se produire utilement. S’il était accouru à une heure, à l’annonce d’une bataille engagée, Frossard eût considéré cette intervention, qu’il ne réclamait pas, comme une offense personnelle, car elle eût signifié : « Je viens à vous, quoique j’eusse dû rester au centre de mon commandement, parce que je vous suppose incapable. » Il eût semblé que, jaloux de sa gloire, il venait, en cas de succès, voler à son subordonné le mérite de la victoire.

A la fin de la journée, la présence de Bazaine était encore plus inutile. Calculez : la dépêche d’alarme de Frossard 5 h. 15 n’a pu lui arriver avant six heures ; quelque diligence qu’il y