Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doctrine n’était point autre que celle de Moltke ; il n’a différé qu’en ne faisant point ce qu’il savait fort bien qu’on devait faire. Notre infériorité stratégique n’a donc pas été dans la doctrine, mais dans la pratique de l’homme qui était chargé de l’appliquer.

Peut-on dire que les oppositions se manifestent entre les tactiques des deux armées ? C’est là que les doctrinaires triomphent : nos règlemens de manœuvres, disent-ils, étaient arriérés de plus d’un siècle et ne soupçonnaient même pas les exigences de la guerre moderne. Halte-là, messieurs ! Notre dernier règlement de manœuvres est du 16 mars 1869 et voici comment l’état-major prussien le juge : « Ce nouveau règlement, rompant complètement avec les formations antérieurement en usage, se rapprochait d’une manière frappante du règlement prussien. »

Néanmoins, à Woerth et à Forbach, il y a eu une différence dans la formation des deux armées. Les soldats prussiens, les pantalons serrés dans leurs demi-bottes de gros cuir, coiffés du casque à pointe dans l’infanterie et la cavalerie, du casque à boule dans l’artillerie et le génie, en tunique à une rangée de boutons, un sac assez léger au dos et la longue capote brune roulée en bandoulière, une musette autour des reins, s’avançaient, formés en colonnes de compagnie, rangés en profondeur. Notre soldat, avec un bonnet de police ou un képi, rarement un shako, jamais de bonnet à poil, chaussé du commode soulier Godillot, fixé par une guêtre en toile ou en cuir, une capote sur son vêtement et au-dessus un sac très pesant, allait au combat en ordre de bataille sur deux rangs, coude à coude, précédé de tirailleurs, ayant derrière lui des colonnes plus ou moins profondes. Cette différence de formation n’était pas décisive, car on peut combattre et vaincre dans toutes les formations. Du reste, elle ne se maintenait pas longtemps : des deux côtés les formations se déformaient dès que le combat s’animait ; le Prussien accrochait son casque à sa musette et se débarrassait de son manteau ; le Français jetait sac à bas ; il n’y avait plus que des tirailleurs groupés autour de quelques chefs ou étendus en longue ligne.

La vraie différence tactique à notre désavantage fut dans le maniement de l’artillerie. L’artillerie prussienne, employée tout entière dès le commencement de l’action, écrasait notre artillerie et allait, par-dessus nos premiers rangs, dévaster nos hommes