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en grand secret, et promit de rester désormais neutre ; il ne franchirait plus la Moulouïa et laisserait carte blanche aux Romains. Sylla lui répondit que ces engagemens étaient insuffisans ; il fallait qu’il livrât Jugurtha. Rome lui accorderait alors son alliance et toute la partie de la Numidie que Jugurtha lui avait abandonnée. Bocchus résista d’abord, invoquant les traités conclus, la parenté, les sentimens de ses sujets, qui, en bons Marocains, aimaient en Jugurtha un Africain de leur race et détestaient profondément ces Romains venus d’outre-mer. Sylla finit cependant par le convaincre ; il fut convenu que Bocchus livrerait Jugurtha,

Restait à exécuter la convention, et ce n’était pas le plus facile. Bocchus fit prévenir Jugurtha que la paix pouvait se conclure et lui demanda de faire connaître ses intentions. Mais Jugurtha, passé maître en ruses et en fourberies de toute espèce, n’était pas de ces naïfs que l’on dupe avec de belles paroles. Il demanda un gage ; Bocchus devait se saisir de Sylla et le lui livrer. Pour obtenir la liberté de leur ambassadeur, les Romains consentiraient à tout. Bocchus promit à Jugurtha comme il venait de promettre à Sylla, et pour mieux tromper les deux adversaires, il régla minutieusement avec chacun d’eux les détails du guet-apens.

Toute comédie, fùt-elle supérieurement machinée, comme l’était ce chef-d’œuvre de la diplomatie marocaine, doit avoir une fin. Il fallait prendre parti, et la décision était délicate, car une erreur pouvait coûter à Bocchus son trône, peut-être même sa vie. À mesure que le moment décisif approche, sa perplexité augmente. Il passe la nuit dans l’agitation, appelle ses conseillers, les renvoie sans rien résoudre. Tout à coup il se décide, mande secrètement Sylla et s’entend avec lui sur les dispositions à prendre. Le lendemain Jugurtha arrive, sans armes, comme il avait été convenu. Bocchus, accompagné de Sylla et de quelques amis, s’avance pour le recevoir. Mais à ce moment, des soldats apostés surgissent de toutes parts. Jugurtha est fait prisonnier sous les yeux mêmes du roi de Maurétanie qui le livre enchaîné à Sylla,

Rome ne se montra pas ingrate. Bocchus fut amplement dédommagé de ses terreurs et de ses angoisses. Il reçut la moitié du royaume de Jugurtha avec le titre d’ami et d’allié du peuple romain. Il sortait donc brillamment d’une situation