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cette politique peu chevaleresque, et même couarde, avilit et ne profite pas. Charles Ier ne fut pas sauve par l’abandon de Strafford, ni Louis-Philippe par celui de Guizot. Croire que l’opinion publique n’imputait qu’à un major général subordonné, et non à l’Empereur, généralissime omnipotent, la mauvaise direction de la guerre, c’était se repaître d’illusions trop naïves. Le moindre passant arrêté dans la rue eut répondu : « Nous admettons que Le Bœuf soit incapable, mais le chef qui le dirigeait et qui d’un mot pouvait le briser, l’est encore plus ! »

Les chefs de peuples vraiment nobles et perspicaces ne rejettent pas le fardeau des revers sur les auxiliaires qui les ont servis : ils les couvrent plutôt au delà de ce qui est juste quand ils ont commis des fautes. Après la perte de Lucignano par Pierre Strozzi (1515), François Ier dit à ses courtisans qu’il regrettait de lui avoir donné le grade de grand maréchal. — Pourquoi ? — Parce que je ne peux plus le lui donner. » Après la défaite de Villeroy à Ramillies, Louis XIV lui dit simplement : « A notre âge, monsieur le maréchal, on n’est plus heureux. »


II

Le soir, à neuf heures, un troisième conseil des ministres fut tenu. Parieu demanda qu’on rectifiât la réponse trop précipitée faite le matin à l’Empereur sur l’effet d’une retraite à Châlons, et que, sans la juger, nous avions paru approuver. Pourquoi préjuger l’utilité d’une mesure stratégique par un avis quelconque? Le Conseil était constamment demeuré étranger à la direction militaire ; il ne devait pas couvrir de sa responsabilité des plans stratégiques de l’opportunité desquels il ne pouvait être le juge ; il devait ne s’expliquer que sur l’effet politique, qui ne serait certainement pas bon, et, sur l’utilité stratégique, s’en remettre à la décision libre du chef de l’armée. Persigny soutint Parieu en invoquant des raisons d’une autre nature : il jugeait funeste pour l’Empereur une marche en arrière avant qu’une grande bataille l’eût suffisamment motivée. Malgré l’opposition de Rouher, cet avis prévalut, et j’adressai une nouvelle dépêche à l’Empereur dans le sens indiqué par Parieu. Par la même dépêche, je sollicitai de l’Empereur l’autorisation d’offrir le ministère de la Guerre à Trochu à la place de Dejean. Le général Dejean n’était qu’un ministre intérimaire et il