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ses conseils, mais son bon sens aiguisé lui indiquait qu’en présence des sommations de la Gauche et des démarches du Centre gauche, dirigées par Jérôme David, son ennemi personnel, notre renversement n’accroîtrait pas son influence et, plus tard, pourrait paraître peu honorable. Enfin il craignait le retour de Rouher, objet de son antipathie, à la chute duquel il avait passionnément contribué. Il s’expliqua donc avec le Centre gauche sur la nécessité actuelle de maintenir le Ministère, aussi péremptoirement qu’il l’avait fait avec la Gauche sur le devoir de respecter la dynastie. Il accueillit au contraire très favorablement l’idée du renvoi immédiat de Le Bœuf.

Il vint chez l’Impératrice lui raconter ces démarches diverses et lui indiquer comment elles devaient être accueillies. Il n’avait pas à démontrer de ne pas tenir compte des injonctions de la Gauche ; il conseilla de repousser aussi celles du Centre gauche contre le Ministère : elle trouverait de grandes difficultés à constituer un autre Cabinet ; il était juste de laisser à celui qui avait commencé la guerre toute la responsabilité des événemens qui se préparaient ; si la victoire revenait à nos armes, les ministres en fonctions devaient profiter de ce retour de la fortune ; si la malchance continuait, ils se montreraient énergiques, et sauraient maintenir l’ordre auquel ils étaient plus intéressés que tout autre. L’Impératrice laissa échapper quelques défiances contre mes idées libérales ; il répondit que ces défiances étaient injustes et ingrates et que depuis plusieurs mois je me prodiguais en un dévouement qu’aucune difficulté n’avait rebuté. L’Impératrice laissa tomber le propos et admit la nécessité de conserver le Ministère.

Son adhésion au renvoi de Le Bœuf fut plus empressée. Elle télégraphia immédiatement à l’Empereur : « Le maréchal Le Bœuf est rendu responsable des ordres et contre-ordres donnés qui sont connus à Paris. On vient de me dire qu’on demandait à la Chambre son remplacement. Il est urgent, pour satisfaire l’opinion publique, qu’à l’ouverture de la Chambre on annonce le remplacement du maréchal Le Bœuf. » C’était la première manifestation de cette politique du bouc émissaire, qui, insensiblement et presque minute par minute, va s’emparer de tous les esprits et devenir le mobile principal des résolutions. Cette politique « qui consiste à jeter sur la route les ornemens royaux afin de gagner le temps que la tourbe met à les ramasser, »