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de l’Empire et dont quelques-uns étaient mes amis ou ceux de mes collègues étaient venus le presser de ne plus nous défendre ; le sacrifice de Le Bœuf ne suffisait plus aux exigences publiques ; elles réclamaient celui du Ministère entier ; sinon, on s’exposait à aggraver par des désordres intérieurs les désastres de l’armée. C’était à lui de se mettre à la tête de ce courant prévoyant, qui grossissait d’heure en heure ; dès qu’il se serait prononcé, la majorité suivrait. Schneider avait fini par se laisser convaincre. Obéissant à son penchant aux transactions, à son habitude d’éluder les difficultés plutôt que de les résoudre, il crut que notre démission donnerait satisfaction à la fois à ceux qui demandaient notre renvoi et à ceux, dont il était, qui considéraient un débat ministériel devant l’ennemi comme une lourde erreur. Il venait donc me conseiller de donner cette démission : « Je vois un grand nombre de députés, ils croient votre remplacement nécessaire pour calmer l’effervescence publique ; ils craignent que vous ne vous cramponniez au pouvoir, et ils sont décidés, malgré les sympathies de beaucoup d’entre eux pour vous et vos collègues, à vous culbuter. Il serait digne de prévenir un renversement inévitable par une retraite volontaire. » Il insinua même, avec force témoignages d’amitié, que les esprits étaient tellement excités que, si nous persistions à rester aux affaires, nous courrions le risque d’avanies et même de violences. Je ne discutai pas ce conseil offensant ; je le repoussai de haut.

« Je n’ai pas renoncé, dis-je, à mon habitude d’aller et de venir à pied du ministère aux Tuileries et à la Chambre ; nulle part, ma sécurité n’a été menacée ; je n’admets pas que des députés me réservent un traitement que la foule ne m’inflige pas. Au surplus, je suis, ainsi que mes collègues, irrévocablement résolu à tout braver. Donner notre démission serait ou condamner nos résolutions précédentes, ce dont nous sommes bien éloignés, ou confesser que nous nous sentons incapables de porter le poids des périls présens, aveu pusillanime auquel aucun de nous n’est disposé. Cette démission serait de plus un acte de félonie envers l’Impératrice, son abandon au moment où nous devons plus que jamais la couvrir de notre dévouement. Que la Chambre nous renverse, si cela lui convient, que l’Impératrice nous congédie, si elle pense que d’autres la serviront mieux ; nous ne donnerons pas notre démission. Oui, nous nous cramponnerons, mais au péril et au devoir. Au surplus,