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toute insistance serait inutile ; nous ne donnerons pas notre démission. »

En me quittant, Schneider passa chez Trochu. N’ayant pu réussir à obtenir ma retraite, il n’avait à lui offrir que le ministère de la Guerre au lieu de la présidence du Conseil qu’il avait espéré pouvoir y ajouter. Trochu le refusa comme il m’avait refusé. « Si j’acceptais, répondit-il, je me croirais consciencieusement obligé d’expliquer à l’Assemblée et aux troupes les causes de nos désastres par les fautes du gouvernement dans la préparation militaire et dans la conduite de la guerre : je ne puis accepter une part du pouvoir sans condamner résolument d’abord tous les erremens du passé et dégager ma responsabilité. » Schneider lui fit remarquer que ce serait un acte d’accusation en règle contre le gouvernement dont il deviendrait le ministre, que cette démarche, anormale dans tous les temps, serait quelque chose de plus en présence d’un ennemi auquel on révélerait ainsi notre faiblesse. « Il est donc entendu, conclut-il, que je ne puis porter à l’Impératrice ni une acceptation, ni une espérance. »

Trochu eut k subir un dernier assaut de son ami intime Jurien de la Gravière. Son refus fut encore plus véhément : « Ce n’est pas moi qui viens à vous, c’est vous qui venez à moi : il faut me prendre tel que je suis avec mes idées, avec ma conscience, avec mes convictions. Si je me donne, il faut qu’il soit bien établi que je ne me vends pas. » L’amiral, épouvanté, répondit qu’il valait mieux, en effet, refuser le pouvoir que l’accepter dans une pareille disposition d’esprit. A la suite de cette conversation, invité à se rendre auprès de l’Impératrice, le général répondit : « Je n’irai pas ; le refus me serait trop pénible vis-à-vis d’une femme ; je ne veux pas la voir. »


V

J’avais annoncé par dépêche à l’Impératrice le refus de Trochu ; je vins lui proposer d’appeler le seul militaire de renom qui fût disponible, Palikao. Elle y consentit et il fut entendu que je télégraphierais au général d’arriver immédiatement par train spécial et qu’elle, de son côté, solliciterait l’approbation de l’Empereur. Puis, tout à coup, elle me dit : « Est-ce que je puis compter sur vous ? » Cette demande à